5b. Le fond de l’impasse

«  La ruelle », l’une des deux toiles de Vermeer figurant un extérieur, nous plonge dans l’intimité de la vie domestique. Sur les devants d’une maison, entre l’intérieur et l’extérieur, une vieille femme coud, une servante étend du linge, deux enfants jouent à terre. Un ordinaire si ordinaire qu’il en est intemporel. Une existence dans et en dehors du temps. De cette ruelle, l’histoire s’est retirée pour accueillir l’éternité, temps du silence, silence du temps.

De ce silence, reste-t-il un écho aujourd’hui ? Il ne peut que se tenir tapi, à l’écart de l’agitation ambiante. Au fond d’une impasse.

Je la connais parce que d’autres m’en ont trahi le secret. Son entrée entre deux maisons passe inaperçue. Si même on la remarque, on la prendrait pour un accès privé. Ouverte, elle reste coupée de la rue où elle débouche.

Je passe ce cap et, par un passage étroit et sinueux, me faufile entre les maisons et les buissons. Une vingtaine de mètres plus loin, me voilà au fond de l’impasse, dans une cour pavée – de vieux moellons irréguliers, entre lesquels l’herbe pousse – entourée d’une dizaine de maisons. Des bâtiments anciens, de taille modeste, sans grande prétention, intriqués les uns dans les autres, transformés au fil du temps et des habitants du quartier.

Un arbre à kiwi s’épanouit dans un angle, se répand en tonnelle, escalade les façades. Un figuier lui aussi exulte. Au cœur de la cour, un jardin collectif foisonne dans un mélange de plantes indigènes et exotiques – un fragment de jungle. Partout sur les seuils et dans les recoins, des jarres, des pots, des jardinières regorgent de plantations hétéroclites : des sauges, du romarin, des piments, des buis, des impatientes… Sur des terrasses improvisées, de vieux meubles de jardin surgissent çà et là, comme au hasard.

Au fond de cette impasse règne sinon le silence, du moins la quiétude d’un lieu isolé de la circulation et de l’effervescence urbaine. Il suffit que j’y entre pour que j’accède à un autre espace, à un autre temps.

En cet endroit où l’on se pose pour papoter et rêvasser, nous nous sentons un peu chez nous. Les riverains, eux, nous jettent un œil à la fois complice et néanmoins un rien hostile. Flattés de ce que nous soyons sous le charme de leur monde, ils nous en veulent d’en violer l’intimité et, c’est probable, d’en faire la publicité. Chacun veut garder pour soi et quelques élus ses jardins secrets. A fortiori, celui où il vit.

Peut-être, pour se préserver, auraient-ils dû mettre une grille à l’entrée de l’impasse. C’eut été en trahir l’esprit, enclore en une cour intérieure ce qui est un espace entre le dedans et le dehors, à la fois en ville et à l’écart, privé et commun, un lieu ouvert et replié sur soi.

Un lieu où s’arrête toute urgence. Le temps passe-t-il plus lentement dans les impasses ? À l’instar de la circulation, il n’y passe pas. Ici le temps arrive, repart, entre les deux, s’arrête.

Impossible d’aller plus loin, nous sommes arrivés. Ici tous les mouvements s’achèvent, chaque chose a rejoint son propre lieu, les hommes et les chats, les rosiers et l’actinidia, les citronnelles et la sarriette, les pavés et les chaises. Ici surtout les bruits se taisent, font place au calme, où le silence se devine.

L’éternité ? Dans son affairement, notre société l’a étouffée. Quelques lieux en gardent la nostalgie.

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Le paysage et son double Droit d'auteur © 2020 par Vincent Furnelle est sous licence Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, sauf indication contraire.

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