#7 « Mon copain dit que je n’ai pas la migraine, parce que ce n’est pas comme lui »

Les variantes, les cousines et les sosies de la migraine

Malgré les caractéristiques décrites ci-dessus qui permettent de diagnostiquer la migraine (voy. supra, # 1), les crises varient entre migraineux, mais aussi souvent chez le même sujet d’une fois à l’autre. Toutes les migraines n’ont pas la même sévérité et n’entraînent pas le même handicap (voy. infra, # 9).

Dans l’enquête que nous avons menée en 2008 parmi le personnel administratif et technique (PATO) de l’Université de Liège (Gérardy et al., 2008), 50 % des 163 migraineux identifiés par questionnaire avaient entre un et deux jours de migraine par mois, alors que plus d’un sur trois avait des crises nettement plus fréquentes. De même, la durée des crises variait : près de 70 % des migraineux indiquaient une durée conforme aux critères de diagnostic (entre quatre heures et trois jours), mais chez 26 %, la durée était plus courte et chez 5 %, elle était plus longue (Fig. 25).

Il ne faut pas oublier, en effet, qu’il n’est pas nécessaire que tous les critères de diagnostic soient réunis pour retenir le diagnostic. Ainsi, dans l’enquête du PATO ULg, 17 % des migraineux ne signalaient pas de photophobie ; chez 27 %, la douleur était bilatérale et chez 34 %, il n’y avait pas de nausées (Fig. 26).

Cela n’exclut pas le diagnostic si d’autres symptômes comme sévérité importante, caractère pulsatile ou lancinant de la douleur, aggravation par l’activité physique et intolérance au bruit et aux odeurs sont présents. Au lieu d’avoir des nausées, certains sujets peuvent au contraire avoir faim pendant la crise.

 

Figure 25​ : Distribution de la fréquence et de la durée des crises chez 163 migraineux. Enquête PATO ULg – (Gérardy et al. Rev Med Liège 2007)​

Si des sensations de déséquilibre sont fréquentes pendant les crises de migraine intenses, certains migraineux présentent des crises récurrentes de vertiges aussi en dehors de la crise. On parle alors de vertiges migraineux.

Chez les sujets en dessous de 50 ans, la migraine est sans doute la cause la plus fréquente de vertiges récurrents et souvent confondue avec la maladie de Ménière (Lempert et al., 2012). Un examen ORL permet de faire le diagnostic différentiel.

 

 

Figure 26 : Prévalence comparée des symptômes entre migraine et céphalées de tension​. Enquête PATO ULg – (Gérardy et al. Rev Med Liège 2007)

La crise de migraine commence souvent par une douleur dans la nuque. Il ne faut pas en conclure hâtivement que la cause se situe au niveau de la colonne cervicale ou du nerf grand occipital d’Arnold (Arnoldite) et qu’il faut faire des radiographies cervicales. La localisation nucale de la céphalée s’explique en réalité par le câblage des fibres nerveuses qui, dans les méninges et le tronc cérébral, sont responsables de la douleur (voy. infra, # 11).

Une autre céphalée qui atteint fréquemment la nuque est la céphalée de tension (Schoenen et Sava, 2013). Nous pouvons presque tous en avoir après un travail éreintant, une mauvaise position de travail, ou la conduite prolongée d’un véhicule, surtout si nous sommes stressés. Il s’agit d’un mal de tête diffus et/ou nucal, ou localisé aux tempes ou au front, léger, compressif (« comme un étau »), gênant plutôt que douloureux, qui, comparé à la migraine, n’a aucune caractéristique particulière en dehors de la céphalée et n’empêche pas la poursuite des activités (Fig. 26 et 27).

 

Figure 27 : Céphalée de tension: critères diagnostiques​. (ICHD-3 code 2.1)​

Si elle est occasionnelle, la céphalée de tension n’est pas un problème de santé et elle est facilement contrôlée par quelques exercices d’étirement ou de relaxation et/ou la prise d’un antalgique ou anti-inflammatoire. Dans la population générale, plus de 70 % des personnes présentent une telle céphalée de tension épisodique quelques fois dans leur vie. Lorsqu’elles surviennent plusieurs fois par mois ou, a fortiori, sont quotidiennes (« chroniques »), les céphalées de tension deviennent invalidantes.

Les céphalées de tension chroniques touchent moins d’1 % de la population. Comme elle n’a pas de caractéristiques cliniques distinctives, la céphalée de tension peut être confondue avec une céphalée secondaire (voy. supra, # 1), surtout si elle est d’apparition récente ; des examens complémentaires sont alors indiqués. Elle peut aussi mimer une migraine sans aura peu intense ou se transformer en migraine.

Chez 30 % des enfants, par exemple, des céphalées de tension se transforment en migraines typiques entre 6 et 13 ans, mais la transformation en sens inverse est aussi possible. Dans une étude américaine (Lipton et al., 2002), la plupart des adultes diagnostiqués au départ comme souffrant de céphalées de tension ont reçu un diagnostic de migraine après avoir rempli pendant quelques semaines un calendrier semblable à celui de la figure 5.

Chez certains migraineux, la douleur est localisée au niveau du visage et non pas dans le crâne, c’est la migraine oro-faciale (Gaul et al., 2007), qu’il ne faut pas confondre avec un problème au niveau des dents, de l’articulation de la mâchoire (temporo-mandibulaire), des yeux ou des sinus, ni avec une névralgie du trijumeau ou une algie vasculaire de la face (voy. infra).

Cette forme affecte environ 10 % des migraineux et s’accompagne une fois sur deux de signes dits « autonomes » au niveau de la face du côté de la douleur : larmoiement, œil rouge et plus petit, gonflement des paupières, nez bouché ou coulant.

Il existe un type de douleur faciale où de tels signes autonomes sont bien plus flagrants et systématiques : ce sont les algies vasculaires de la face (AVF) (appelées cluster headache en anglais, c’est-à-dire céphalées en grappes, anciennement « céphalée de Horton ») (Horton et al., 1939). Il s’agit de crises extrêmement douloureuses, qui durent en moyenne 45 minutes et surviennent une ou plusieurs fois sur 24 heures, volontiers pendant la nuit (souvent à la même heure) ou au réveil d’une sieste (Schoenen, 2001) (Fig. 28).

La douleur est insupportable en quelques minutes et peut être déclenchée par un verre d’une boisson alcoolisée. Elle est centrée sur l’œil toujours du même côté et s’accompagne de façon caractéristique de signes autonomes ipsilatéraux (Fig. 29A-E, G). À l’inverse du migraineux qui se retire au calme, le sujet qui fait une crise d’AVF ne tient pas en place et tend à « grimper au mur ». Ce qui a donné le nom de « cluster headache ou céphalées en grappes » à la maladie, c’est son évolution dans le temps (Willis, 1694, in Zanchin, 2010).

 

Figure 28 : Algie vasculaire de la face (AVF ou « Cluster Headache ») : critères diagnostiques​. (ICHD-3 code 3.1)​

Les crises (quasi) quotidiennes se groupent en effet par grappes de plusieurs semaines ou mois, puis disparaissent pendant plusieurs mois (ou années) avant de resurgir. Les rechutes ont parfois un caractère saisonnier avec une période au printemps et une autre à l’automne. Cette forme d’AVF est dite épisodique et représente ± 70-80 % des cas. Certains patients (20-30 %) évoluent vers (ou présentent d’emblée) une forme chronique où les crises sont incessantes sans périodes de rémission et ruinent la qualité de vie. C’est l’AVF chronique qui a été appelée « céphalée suicidaire » (Fig. 28) (Pohl et al., 2020). L’AVF est moins fréquente que la migraine (± 0,1 % de la population) et atteint principalement les hommes à partir de 30 ans ; dans 10 % des cas, elle est familiale et se déclare à un âge plus jeune. Les crises sont d’une violence telle que certains sujets s’automutilent en se frottant la tête contre un mur ou l’oreiller (Fig. 29H) ou en s’injectant dans la joue des anesthésiques locaux (Fig. 29I). À la longue, elle peut entraîner des plis profonds au niveau du front et de la face, ce qui est décrit comme un « facies léonin » (Fig. 29F).

 

Figure 29 : AVF

Même des médecins confondent parfois l’AVF avec la névralgie du trijumeau bien que les douleurs soient très différentes (Maertens de Noordhout et Schoenen, 1986 ; Schoenen et al., 2011) (Fig. 30). La névralgie du trijumeau provoque des douleurs très vives mais très brèves (« comme des décharges électriques ») situées d’un côté du visage, le plus souvent à la joue, l’aile du nez, la lèvre et les gencives. La douleur est souvent déclenchée par le simple toucher du visage ou des gencives en se lavant, en se rasant, en parlant ou en mangeant. Elle peut être si vive que le sujet fait une grimace, d’où le nom de « tic douloureux de la face » parfois donné à la maladie. Le patient, généralement âgé de plus de 50 ans, a des dizaines de crises sur la journée et il s’agit quatre fois plus souvent d’une femme que d’un homme. Des rémissions spontanées de la maladie sont possibles, mais souvent transitoires. La névralgie est causée par le frottement d’une artère, dont la paroi est enraidie par l’âge et éventuellement l’hypertension artérielle, sur le nerf trijumeau à l’endroit où il sort du tronc cérébral. Ceci entraîne une perte locale de la gaine de myéline qui entoure et isole les fibres nerveuses ; il en découle des courts-circuits entre ces fibres responsables de douleurs fulgurantes. Plus rarement (1-2 % des cas), la névralgie du trijumeau est familiale et causée par une mutation génétique qui augmente l’excitabilité des fibres nerveuses (Di Stefano et al., 2020).

 

Figure 30 : Névralgie du Trijumeau versus Cluster Headache : ​le diagnostic différentiel​

Chez les sujets jeunes, une névralgie du trijumeau peut être provoquée par la démyélinisation du nerf due à la sclérose en plaques (Laakso et al., 2020). Des douleurs faciales mimant la névralgie du trijumeau peuvent aussi être secondaires à une tumeur de la base du crâne, un traumatisme facial ou une intervention chirurgicale maxillo-faciale ou dentaire. Dans ces cas, les douleurs sont quasi permanentes sans rémission entre les paroxysmes et il y a d’autres anomalies, comme une perte de sensibilité, des brûlures et une allodynie. On parle de douleurs neuropathiques trigéminales.

Chez la personne âgée de plus de 60 ans, une céphalée temporale unilatérale et battante d’apparition récente doit faire suspecter une artérite temporale de Horton (aussi appelée « maladie de Horton »). La céphalée est souvent associée à des douleurs articulaires et à une altération de l’état général. Le diagnostic se fait par l’examen clinique qui montre une artère temporale superficielle turgescente, indurée et douloureuse à la palpation, par l’élévation de la vitesse de sédimentation à la prise de sang et par une biopsie de l’artère qui confirme l’infiltration de la paroi artérielle nécrosée par des cellules inflammatoires et géantes (Fig. 31).

 

Figure 31 : Artérite temporale de Horton​

C’est une maladie inflammatoire grave des parois artérielles qui doit être traitée sans retard par des corticoïdes, car l’ischémie de la rétine suite à l’atteinte de l’artère rétinienne peut rapidement rendre aveugle.

 

# bref. Les crises de migraine varient entre migraineux par certains symptômes et par leur intensité, et chez le même migraineux au cours de sa vie. La migraine doit notamment être distinguée de la céphalée de tension, des algies vasculaires de la face (cluster headache), de la névralgie du trijumeau et de l’artérite temporale. La plupart des prétendues « Arnoldites » sont des migraines.

 

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