#6 « J’ai mal à la tête presque tous les jours. Je ne sais pas me passer de mon antidouleur »

Les complications de la migraine et de son traitement

S’il est vrai que la crise de migraine est limitée dans le temps et qu’a priori une céphalée quotidienne n’est pas d’origine migraineuse, il y a d’importantes exceptions à cette règle.

D’abord, la plupart des migraineux peuvent avoir dans leur vie une ou plusieurs crises qui s’étendent sur une ou plusieurs semaines malgré le traitement ; on parle alors d’un état de mal migraineux qui nécessite un traitement particulier (voy. infra, # 13.3).

Certains migraineux peuvent avoir à un moment donné une augmentation progressive de la fréquence des crises et se retrouver après quelques mois avec des maux de tête quotidiens ou quasi quotidiens.

Le diagnostic devient alors celui de migraine chronique qui se définit par la survenue, depuis au moins trois mois, d’au moins quinze jours de céphalée par mois dont au moins huit crises de migraine typique remplissant les caractéristiques décrites plus haut (Fig. 19).

 

Figure 19 : Calendriers de 2 patients souffrant de formes différentes de migraine chronique​

Dans la population générale, 3 % des personnes environ souffrent de cette forme de migraine qui est la plus invalidante et la plus difficile à soigner, surtout lorsque les céphalées deviennent permanentes.

La migraine chronique se trouve à l’extrémité maximale du spectre de sévérité de la migraine, qui va de la migraine épisodique de basse fréquence (< 8 jours de migraine par mois) à la migraine chronique en passant par la migraine épisodique de haute fréquence (8 à 15 jours/mois) (Fig. 20).

 

Figure 20 : Le spectre de sévérité de la migraine​

On estime que sur une année, 3 % de sujets souffrant d’une migraine épisodique s’aggravent et développent une forme chronique, mais aussi que, durant la même période, plus de la moitié des patients chroniques redeviennent épisodiques (Scher et al., 2003) ; ce n’est donc pas une complication irréversible !

Une série de facteurs favorisent le passage vers la chronicité ou, à l’inverse, s’opposent au retour à la forme épisodique de migraine (Manack et al., 2011) : une fréquence élevée de crises, l’association à la migraine d’autres maladies dites « comorbides » comme l’obésité ou la dépression (voy. infra, # 9), la présence d’une allodynie du cuir chevelu pendant la crise (c’est-à-dire la perception douloureuse ou très désagréable d’un simple toucher des cheveux, voy. infra, # 9), mais aussi certains des facteurs aggravants décrits au chapitre précédent (Fig. 21).

 

Figure 21 : Les causes de la migraine chronique

La cause la plus fréquente de chronification de la migraine est la surconsommation des médicaments de la crise migraineuse : ergotamine ou triptans, antalgiques combinés (antalgique + caféine/codéine), antalgiques ou anti-inflammatoires par ordre décroissant de risque (voy. infra, # 13.3).

Il s’agit d’une escalade pernicieuse sur plusieurs semaines ou mois de prises médicamenteuses qui deviennent de plus en plus rapprochées avec, en parallèle, une augmentation de fréquence des crises et l’apparition de céphalées qui persistent entre les crises (Fig. 22).

 

Figure 22 : Céphalées par surconsommation d’antalgiques (CSA): développement dans le temps

Ces céphalées dites « par surconsommation d’antalgiques (CSA) » (Fumal et al., 2006) sont quasi quotidiennes, ne répondent plus aux traitements de fond (voy. infra, # 13.4) et s’aggravent transitoirement à l’arrêt de l’abus médicamenteux en s’accompagnant d’autres symptômes de sevrage. Une fois sur deux, elles s’améliorent très nettement une quinzaine de jours après l’arrêt des médicaments. Elles apparaissent plus rapidement après surconsommation de triptans qu’après abus d’ergotamine ou d’antalgiques combinés, mais les symptômes de sevrage durent moins longtemps avec les triptans qu’avec les autres médicaments. Le risque d’induire des céphalées par surconsommation médicamenteuse est le plus faible avec les anti-inflammatoires (Diener et al., 2019) (Fig. 23).

On considère que le médicament est responsable de la chronification d’une céphalée à partir d’une consommation de dix jours par mois pour les triptans, l’ergotamine ou les antalgiques combinés ; à partir de quinze jours pour les antalgiques simples et anti-inflammatoires, mais en pratique le seuil d’entrée dans le cercle vicieux est bien plus bas chez certaines personnes.

 

Figure 23 : Caractéristiques des céphalées par surconsommation d’antalgiques

L’aggravation par surconsommation médicamenteuse peut se produire pour d’autres céphalées que la migraine et même si l’antalgique est pris pour des douleurs localisées ailleurs qu’à la tête, par exemple pour des douleurs lombaires ou dues à une fibromyalgie. Elle est fréquente, par exemple, après une commotion cérébrale lors d’un accident de la voie publique quand, au service des urgences, on prescrit à l’accidenté un antalgique pour le soulager de ses céphalées post-traumatiques immédiates sans lui dire qu’il doit l’arrêter après une ou deux semaines, sous peine de pérenniser les céphalées.

Des céphalées sont fréquentes après un traumatisme crânien même mineur. Des céphalées immédiates, ou en tout cas apparaissant dans les sept jours après le traumatisme, sont quasi la règle. Elles ressemblent le plus souvent à une migraine et disparaissent en général dans les trois mois. Plus rarement, les céphalées persistent après ce délai pour disparaître après un an chez 90 % des sujets. Lorsqu’elles persistent plus longtemps, il s’agit parfois d’une migraine déclenchée par la commotion cérébrale chez une personne génétiquement prédisposée (Fig. 24).

Figure 24 : Les céphalées post-traumatiques (ou post-commotionnelles)​. NB: les céphalées aiguës ressemblent le plus souvent à des migraines​. Les céphalées persistantes prennent la forme d’une migraine chronique

 

# bref. Contrairement à la migraine épisodique, la migraine chronique provoque des céphalées quasi quotidiennes. Elle est la forme la plus invalidante de migraine et souvent favorisée par la surconsommation d’antidouleurs.

 

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