Évaluer les pressions azotées sur quatre bassins d’alimentation de captage dans le nord de la Nièvre par des mesures de REH : comment passer des constats à l’action ?

Lison Delsalle

Résumé

Quatre captages du nord de la Nièvre, classés prioritaires Grenelle, présentent des teneurs en nitrate importantes, qui avoisinent parfois la norme de potabilité (50 mg.L-1) en période hivernale. Cette eau provient de nappes souterraines situées dans des aquifères karstiques. Les bassins d’alimentation de captage (BAC), de 300 à 2 500 hectares, concernent des zones agricoles de polyculture (colza, céréales, protéagineux, tournesol, maïs…) et d’élevage bovin allaitant. Les sols sont essentiellement argilo-calcaires d’épaisseur variable, avec des taux de cailloux parfois importants.

Sur ces BAC, des programmes d’actions sont mis en œuvre depuis 2013, animés par une cellule d’animation agro-environnementale résultant d’un partenariat entre les différentes collectivités gestionnaires. En 2015, un suivi de l’azote dans le sol des parcelles agricoles des BAC a été proposé afin (1) de capitaliser des connaissances sur le fonctionnement de ces sols, (2) de participer à la compréhension de la dynamique de l’azote dans les sols avant la période de lixiviation, et (3) d’en faire une base de réflexion avec les agriculteurs sur leurs pratiques culturales.

Durant cinq campagnes culturales, 90 à 100 mesures de reliquats entrée hiver (REH) ont été réalisées, couplées à des pesées de biomasse de colza/couverts. La date des prélèvements est décidée d’après le suivi du remplissage des sols par calcul du bilan hydrique. Les points de mesures sont les mêmes d’une année sur l’autre ; pour le plus petit des BAC (224 ha de SAU), les REH ont été mesurés sur l’intégralité des 35 parcelles cultivées, permettant d’estimer les quantités d’azote perdues dans la nappe chaque année à partir des données de pluviométrie.

En parallèle, un REH objectif a été calculé en utilisant le modèle de Burns et selon les caractéristiques des sols : des reliquats en dessous de 50 kg Nmin.ha-1 garantissent que l’eau qui percole sous les BAC ne dépasse pas la concentration en nitrate de 37 mg.L-1. Cette valeur est cependant soumise à de nombreuses hypothèses, la rendant valable uniquement sur les sols profonds.

Quant aux résultats, malgré les nombreuses analyses possibles, il est difficile de dégager des tendances. Rares sont les sols profonds qui atteignent l’objectif de 50 kg Nmin.ha-1 en entrée d’hiver. Des hypothèses de travail ou des contraintes techniques doivent encore être levées : la caractérisation des taux de cailloux, l’estimation de l’azote dans les sols superficiels (les racines explorent-elles au-delà des centimètres prélevés ?)…

D’autre part, la valorisation des résultats auprès des agriculteurs n’est pas aisée, tant en réunion collective qu’en rendez-vous individuel. Les questions se posent aujourd’hui quant à la poursuite de ce dispositif de mesures, et plus globalement sur la façon d’aborder la gestion de l’azote pour limiter les pertes azotées sous les parcelles des BAC.

Introduction

Le REH est une mesure de la teneur en azote minéral dans le sol et un indicateur permettant d’évaluer les risques de pertes vers les nappes captées pour l’eau potable. Il permet également de susciter des réflexions et des adaptations de pratiques chez les agriculteurs.

Encouragé par des financeurs publics tels que les agences de l’eau, il est mesuré depuis six ans dans une centaine de parcelles de bassins d’alimentation de captage dans le nord de la Nièvre.

Comment valoriser les résultats et mobiliser autour de cet indicateur ? Comment faire du REH un véritable outil d’animation et d’aide à la décision pour passer à l’action ?

Des campagnes de mesures de reliquats depuis 2015 sur des zones à enjeu « eau »

Quatre captages du nord de la Nièvre, classés prioritaires Grenelle, présentent des teneurs en nitrate importantes qui avoisinent parfois la norme de potabilité (50 mg.L-1) en période hivernale. Cette eau provient de nappes souterraines situées dans des aquifères karstiques. Les bassins d’alimentation de captages (BAC), de 300 à 2 500 hectares, concernent des zones agricoles de polyculture (colza (Brassica napus L.), céréales, protéagineux, tournesol (Helianthus annuus), maïs (Zea mays)…) et d’élevage bovin allaitant. Les sols sont essentiellement argilo-calcaires d’épaisseurs variables, avec des taux de cailloux parfois importants, excepté sur le BAC de la Fontainerie où des sols limono-argileux profonds sont bien présents (figure 1).

 

Figure 1. Localisation des bassins d’alimentation de captages et description des types de sol.

Pour protéger ces captages et reconquérir la qualité de l’eau, des programmes d’actions sont mis en œuvre depuis 2013 et animés par une cellule d’animation agro-environnementale résultant d’un partenariat entre les différentes collectivités gestionnaires, fédérées par la Ville de Clamecy.

Depuis 2015, un suivi de l’azote dans le sol de parcelles agricoles des BAC est réalisé afin de

  1. capitaliser des connaissances sur le fonctionnement de ces sols,
  2. participer à la compréhension de la dynamique de l’azote dans les sols avant la période de lixiviation, et
  3. en faire une base de réflexion avec les agriculteurs sur leurs pratiques culturales.

À ce jour, six campagnes de mesures de REH ont été menées.

Ces mesures sont financées à 80 % par l’agence de l’eau Seine-Normandie et à 20 % par les quatre collectivités membres de la cellule d’animation.

Le dispositif de mesures

Un échantillonnage représentatif de la diversité des successions culturales

Le choix des parcelles s’est fait la première année du lancement du projet, lors de rencontres individuelles entre l’animatrice et les agriculteurs. L’objectif visé était double : impliquer un maximum d’agriculteurs dans le dispositif (intégrés à partir d’une parcelle dans un BAC) et refléter la diversité des successions culturales et des types de sol.

Chaque agriculteur dispose ainsi d’une à neuf mesures de REH chaque année. Les points sont géolocalisés et positionnés dans des zones représentatives de chaque parcelle. La consigne donnée au préleveur est d’échantillonner la profondeur maximale autorisée par le sol. Selon les parcelles, cette profondeur varie entre 20 et 90 cm (figure 2), ce qui ne facilite pas la comparaison des résultats entre parcelles.

 

Figure 2. Profondeur de prélèvements dans les parcelles de chaque BAC. BRIN = BAC de Brinon, DORN = BAC de Dornecy, FONT = BAC de Fontainerie et SURG = BAC de Surgy.

Entre les campagnes (années), le nombre de parcelles fluctue : des parcelles ayant subi un retournement de prairie temporaire peuvent s’ajouter au dispositif, d’autres sont supprimées selon les résultats des années précédentes (par exemple, dans le cas où le sol s’avère très peu profond (20 cm), ou lorsque deux points sont mesurés dans la même parcelle avec deux précédents différents et que l’on observe aucune différence quelques années plus tard, etc.). Ces choix sont faits par l’animatrice en accord avec les agriculteurs.

Au total, 35 agriculteurs participent à la démarche, pour des mesures de REH dans 90 à 100 parcelles chaque année. Des mesures de reliquat azoté sont également réalisées en sortie d’hiver (RSH), sur une partie des parcelles du réseau de REH selon la culture à fertiliser au printemps, pour permettre aux agriculteurs d’ajuster leur plan prévisionnel de fumure.

Le BAC de Dornecy, qui a un fort enjeu vis-à-vis du nitrate avec des pics hivernaux de concentration pouvant dépasser 60 mg.L-1 dans le captage, a la particularité d’être peu étendu, avec une surface agricole de 224 hectares. Les mesures de REH sont réalisées dans l’ensemble des 31 parcelles cultivées de ce BAC afin d’évaluer les quantités d’azote perdues dans la nappe chaque année à l’aide des données de pluviométrie.

Une modélisation du bilan hydrique pour déclencher les prélèvements

La date des échantillonnages de sol est décidée en fonction du remplissage de la réserve utile en eau des sols par calcul du bilan hydrique. Par défaut, les données utilisées sont celles des sols peu profonds : réserve utile de 60 mm et des sols couverts par une céréale d’hiver. Un tableau excel automatisé permet d’estimer rapidement l’état hydrique des sols, sur la base des observations de la station météorologique de Clamecy.

Cependant, depuis deux années, les prélèvements sont réalisés un peu tardivement, les sols étant déjà saturés en eau et/ou un épisode d’excédent hydrique s’étant déjà produit (automne 2019 illustré à la figure 3). Il n’est pas toujours aisé de déterminer cette date de prélèvement, qui nécessite un suivi fin des données et une coordination avec les contraintes de calendrier du préleveur.

 

Figure 3. Suivi du remplissage des sols en 2018-2019 et 2019-2020.

Des mesures de biomasse associées aux reliquats pour évaluer « l’azote en jeu » dans la parcelle

Systématiquement, des pesées de biomasse fraiches sont réalisées dans les parcelles de colza et d’interculture longue, le jour du prélèvement de reliquat. L’absorption d’azote par les couverts est estimée avec la méthode MERCI[1], permettant d’évaluer l’azote en jeu dans la parcelle et ainsi l’efficacité du couvert à capter l’azote disponible dans le sol avant l’hiver.

Ces pesées permettent aussi de caractériser les couverts : densité, homogénéité, espèces présentes…

Évaluation du REH objectif

Au-delà des mesures dans les parcelles, il s’agit de les mettre en perspective pour se fixer un cap en matière de limitation de la pression azotée pour les captages. En 2018, des valeurs de REH objectifs ont été calculées pour chacun des BAC, afin de servir de guide pour les agriculteurs et les maîtres d’ouvrage.

Le raisonnement pour calculer ce REH objectif est le suivant :

  1. Quelle qualité de l’eau voulons-nous au captage ?
  2. Quelle concentration en nitrate maximale dans l’eau qui percole sous le BAC doit-on fixer pour garantir cette qualité ?
  3. Quelles pertes en azote maximale sous les champs cultivés cela suppose-t-il ?
  4. Quelle quantité d’azote maximale (REH objectif) doit-on retrouver dans les sols en début de drainage pour ne pas dépasser ces pertes ?

Les calculs sont basés sur le modèle de lixiviation de Burns (1976) qui permet d’estimer la part de nitrate du sol qui est lixiviée pendant la période de drainage. Ce modèle tient compte des caractéristiques des sols (épaisseur, humidité volumique à la capacité au champ) et de la lame drainante, dépendante de l’occupation et de la réserve utile du sol.

Ainsi, un calcul a été réalisé pour chaque parcelle des BAC selon le type de sol (basé sur les études pédologiques disponibles) et le type de couvert végétal (prairie, culture, forêt), en estimant une lame drainante moyenne sur base de 10 années de données pluviométriques. La profondeur d’enracinement a été fixée à 90 cm par défaut. Cette hypothèse peut être discutée, car 30 % des échantillons ne sont pas prélevés au-delà de 30 cm de profondeur et près de 40 % à 60 cm seulement.

Les résultats indiquent une concentration en nitrate de la lame drainante sous cultures de 50 à 65 mg.L-1 selon les BAC (pour un objectif fixé à 37 mg.L-1 dans l’eau captée), soit une perte de 24 à 31 kg N.ha-1. Le reliquat objectif, s’il peut varier d’un type de sol à l’autre, a été fixé à 50 kg Nmin.ha-1 pour faciliter la démarche par la suite, quels que soient les parcelles et le BAC.

Cette valeur objectif est ainsi soumise à de nombreuses hypothèses, la rendant valable uniquement sur les sols profonds. Elle permet toutefois de la comparer aux ordres de grandeur des reliquats mesurés.

Des objectifs rarement atteints et des résultats pas toujours interprétables

Les paramètres influençant les résultats de REH

Les résultats REH sont interprétés à partir de l’azote minéral total : nitrique et ammoniacal. Se pose parfois la question de la prise en compte de l’azote ammoniacal dans son intégralité car certains échantillons présentent une concentration supérieure à 20 kg.ha-1 sur un ou plusieurs horizons.

Par ailleurs, le résultat du REH est dépendant du taux de cailloux estimé et de la texture du sol (qui permet d’évaluer sa densité apparente). Le reliquat est évalué comme suit :

REH (kg N.ha-1)

 

= N terre sèche (mg.kg-1) x terre fine/ha (t.ha-1)

= N terre sèche (mg.kg-1) x prof horizon (cm) x Dapp (g.cm-3) x (1 – % cailloux)

  • N terre sèche = quantité d’azote minéral mesurée dans la terre sèche
  • Dapp = densité apparente du sol (en fonction de sa composition)
  • Terre fine/ha = quantité de terre fine à l’hectare

Or, les caractéristiques des sols ne sont pas toujours précisément connues sur les BAC. Si des études pédologiques ont été réalisées au moment de l’évaluation de la vulnérabilité des BAC aux transferts, elles n’ont pas été aussi fines d’un BAC à l’autre (étude de la carte départementale des terres agricoles pour le BAC de la Fontainerie ; sondages tarière plus ou moins nombreux pour les autres BAC). Au fur et à mesure des campagnes de REH, des ajustements ont été nécessaires, à partir des caractéristiques observées sur le terrain par le préleveur (taux de cailloux, profondeur, …).

Selon les laboratoires, la densité apparente est évaluée à partir de la texture fournie en détail (taux d’argile, sable, limon) ou selon la typologie de sols du GREN[2], moins précise. Une comparaison réalisée en 2019 sur la base des données brutes (mg.kg-1) a cependant montré que la méthodologie employée par deux laboratoires différents n’entrainait que 2 % d’écart en moyenne sur 77 échantillons.

Cependant, le taux de cailloux peut faire varier de façon conséquente le résultat, car directement lié au calcul du REH. Or il n’est pas toujours aisé d’estimer ce taux, notamment dans les horizons profonds. Des ajustements ont été faits par les préleveurs successifs pour tenter de s’approcher au mieux de leur ressenti sur le terrain (en fonction de la difficulté à prélever). En 2021, suite à un changement de prestataire, le nouveau préleveur a ajusté le taux de cailloux de 37 parcelles sur 105, selon son observation visuelle et la facilité ou non à réaliser le prélèvement. Cela interroge sur la fiabilité des résultats obtenus qu’il ne faut donc pas interpréter au kg Nmin.ha-1 près. La question d’une meilleure connaissance et caractérisation des sols sur les BAC se pose aussi, d’autant plus dans un contexte pédologique où les sols sont souvent caillouteux (pour 65 % des sols échantillonnés, la charge caillouteuse est estimée entre 10 à 20 % et pour 15 % des sols, elle est estimée à plus de 20 %).

Interprétation des résultats annuels

Vu le relativement faible nombre de parcelles suivies, il n’est pas possible de réaliser des analyses statistiques poussées. Chaque année, les valeurs sont néanmoins comparées par types de successions de cultures {culture précédente – interculture – culture suivante} catégorisées par profondeur de sols (figure 4). On observe toujours une grande diversité dans les résultats (large amplitude entre mini et maxi). Pour les parcelles où un couvert d’interculture (CIPAN) ou un colza est en place, l’azote absorbé par le couvert est évalué avec la méthode MERCI.

 

Figure 4. REH des précédents « céréales » (2021). Chaque barre correspond à une parcelle ; les couleurs distinguent l’azote mesuré dans chaque horizon.

Une tentative de mise en parallèle des résultats de REH avec les pratiques de fertilisation (apports de matière organique, restitution des pailles ou non) ainsi que les balances azotées (apports – exports d’azote) n’a pas montré de corrélation probante (figure 5). Une fois encore, le faible nombre de parcelles échantillonnées ne permet pas d’aller plus loin dans les conclusions.

Même avec une faible balance, les reliquats peuvent être élevés. La balance azotée reste un indicateur de « bonnes pratiques de fertilisation » et ne représente pas exactement le stock d’azote dans le sol après la moisson. D’autres facteurs ont un impact sur le résultat du REH, notamment l’historique de la parcelle et la présence (en qualité) d’une CIPAN ou de repousses de colza.

 

Figure 5. REH en fonction de la balance azotée 2021 (kg N.ha-1), pour les sols prélevés à 2 ou 3 horizons.

Quelques conclusions peuvent toutefois être tirées, mais restent très générales :

  • L’objectif de 50 kg Nmin.ha-1 n’est quasiment jamais atteint dans les sols profonds.
  • Les REH sont souvent faibles après une récolte de maïs (notamment maïs grain irrigué) ou de tournesol, dans ce cas, certainement dû à la dégradation des résidus qui consomme l’azote du sol.
  • Les parcelles cultivées en agriculture biologique montrent des résultats dans la moyenne des valeurs.
  • Les couverts végétaux, lorsqu’ils sont bien implantés, permettent de limiter la valeur des reliquats. L’azote en jeu (REH + N absorbé par le couvert) est parfois très important.
  • Les retournements de prairies permanentes sont visibles plusieurs années après. Concernant les prairies temporaires, l’arrière-effet est marqué (REH élevés) un à deux ans après le retournement.

Analyse pluriannuelle des résultats

Avec six campagnes de prélèvements, une analyse pluriannuelle a été faite à l’échelle de la parcelle, faute de pistes pour le faire à l’échelle des BAC. Une comparaison des résultats pour trois parcelles est présentée graphiquement (figure 6), en précisant les successions culturales.

L’analyse de l’évolution des REH par parcelle permet de comparer des données issues de caractéristiques similaires (même agriculteur, même paramétrage de sol, même taux de cailloux, etc.). La comparaison reste délicate puisque les prélèvements n’ont pas toujours été faits aux dates optimales à l’image de l’année 2019 où le drainage avait déjà commencé environ un mois avant l’échantillonnage des sols (figure 2).

 

Figure 6. Présentation des résultats REH pluriannuels des parcelles d’une même exploitation (profondeur prélevée : 90 cm).

Plus que la rotation, ce sont les successions de cultures et l’historique récent (retournement de prairie, rendement objectif non atteint, apport de matière organique…) qui semblent expliquer les variations interannuelles d’une même parcelle. Cependant, il reste difficile de dégager de réelles tendances ou même d’expliquer certaines données.

À noter qu’aucune succession ne parvient à atteindre l’objectif de 50 kg Nmin.ha-1 sur 90 cm.

Discussion

Un observatoire des pressions azotées

Les mesures permettent d’observer des tendances et de conclure sur la pression azotée dans chaque BAC, comme en témoigne la figure 7. Ce graphique permet entre-autres d’illustrer l’effet climatique (comparaison entre 2018 et 2021 par exemple). 2019 est une année où les prélèvements ont été réalisés après une période de drainage, ce qui peut expliquer les résultats moins élevés.

Le contexte pédologique influence également les résultats entre BAC (Surgy comporte beaucoup de sols à 1 horizon et Fontainerie des sols à 3 horizons). Pour réellement évaluer la pression azotée dans les BAC, il faudrait pondérer les résultats en fonction des paramètres {successions de culture – type de sol – surfaces dans le BAC}.

 

Figure 7. Évolution des valeurs de REH par année et par BAC. Le nombre de valeurs utilisées est indiqué entre crochets.

Ces histogrammes ne sont pas des « boîtes à moustaches » classiques : dans la partie colorée se trouvent 70 % des valeurs (centiles 0,15 et 0,85).

Sur le BAC de Dornecy, où toutes les parcelles cultivées sont prélevées, on peut approcher plus précisément cette pression azotée. La part d’azote minéral entraînée par lixiviation est calculée avec le modèle de Burns sur base :

  • des REH mesurés,
  • des lames drainantes estimées par parcelle,
  • de l’assolement et
  • de la pluviométrie depuis la date du prélèvement REH.

Ces pertes sont calculées par parcelle et converties en concentration en nitrate de l’eau qui percole pendant l’hiver. Par extrapolation, en pondérant par les surfaces des parcelles, on peut calculer la concentration moyenne à l’échelle du BAC (tableau 1). Pour les surfaces non cultivées, les concentrations moyennes en nitrate retenues sont :

  • 2 mg.L-1 sous forêt,
  • 19 mg.L-1 sous prairie permanente
  • nulle sous les zones non agricoles.
Tableau 1. Estimation des pertes sous-racinaires à partir des mesures de REH et des calculs de lame drainante sur le BAC de Dornecy. Les valeurs moyennes sont pondérées par les surfaces de chaque parcelle.
Campagne Lame drainante sous parcelles cultivées entre REH et fin drainage (mm) Pertes moyennes sous les parcelles cultivées (kg N.ha-1) Concentration moyenne de l’eau sous-racinaire (parcelles cultivées) (mg NO3.L-1) Concentration moyenne de l’eau qui a percolé à l’échelle du BAC (mg NO3.L-1)
2015-2016

2016-2017

2017-2018

2018-2019

2019-2020*

2020-2021

2021-2022

100

257

215

89

219

non mesuré

313

22

21

49

12

27

non mesuré

58

94

78

100

56

54

non mesuré

83

59

57

68

53

39

non mesuré

57

*REH mesurés après une période de drainage

Les résultats obtenus renseignent sur les transferts potentiels durant l’hiver qui succède à chaque campagne de prélèvements. Les pics hivernaux observés au captage de Dornecy (figure 8), liés à la pluviométrie, semblent confirmer la pression observée. D’après les calculs, l’eau qui percole sous le BAC a une teneur en nitrate proche de 60 mg.L-1 (pics observés ces dernières années au captage). Toutefois, même s’il a été montré que les transferts sont rapides, l’eau percolée n’est pas celle qui est prélevée au captage de façon simultanée dans le temps : il serait intéressant d’étudier les flux saisonniers et la circulation de l’eau à l’échelle du BAC pour estimer l’âge du nitrate mesuré au captage.

 

Figure 8. Excédents hydriques évalués sur un sol de réserve utile 60 mm implanté en céréales d’hiver et évolution des taux de nitrate au captage de Dornecy, entre 2016 et 2022.

Aussi, les mesures de REH servent d’observatoire de cette pression azotée dans les BAC. Les résultats sont partagés dans des documents de synthèse envoyés aux agriculteurs ainsi qu’aux partenaires de l’animation dans les BAC et présentés lors des comités de pilotage présidés par les collectivités.

Une faible mobilisation autour de cet indicateur

Si l’une des ambitions de départ était d’utiliser les REH comme base de réflexion avec les agriculteurs sur leurs pratiques culturales et donc un outil d’animation sur les BAC, il s’avère que la mobilisation n’est pas toujours au rendez-vous.

En effet, les agriculteurs sont peu partie prenante du dispositif : à son lancement, ils ont été sollicités et rencontrés individuellement pour choisir les parcelles à intégrer dans l’échantillonnage. Chaque année, un point téléphonique ou en présentiel est fait pour collecter les informations relatives aux assolements et pratiques agricoles mises en œuvre avant l’échantillonnage des parcelles. À l’issue de chaque campagne, les agriculteurs reçoivent leurs résultats par courrier ou mail avec un bulletin de synthèse générale (2 pages). L’objectif était aussi et surtout de les rencontrer individuellement pour échanger sur les résultats, leurs pratiques, éclairer les résultats surprenants, etc. Cependant, par manque de temps, de motivation ou à cause du contexte sanitaire, ces rendez-vous n’ont pas été systématiques ces dernières années.

Par ailleurs, peu de moments collectifs ont pu être organisés :

  • une première réunion après la première campagne (partage des résultats et échanges avec les sept agriculteurs qui s’étaient déplacés) ;
  • une seconde, début 2018, où les questions du lien entre les pratiques, les fuites de nitrate et la qualité de l’eau ont été abordées.

Intéresser les agriculteurs : « jeu des devinettes »

En 2022, une nouvelle façon de présenter les résultats aux agriculteurs a été testée. Précédemment, les rendez-vous individuels consistaient en une présentation directe des résultats de l’année, resitués dans le panel des mesures sur les BAC (sous forme graphique) et enfin, les résultats pluriannuels des parcelles de chaque agriculteur.

Pour éviter que l’agriculteur ne soit passif dans la restitution de ces éléments, un « jeu » lui est proposé : il est invité à positionner des étiquettes indiquant des valeurs de REH sur une carte représentant ses parcelles dans le BAC (figure 9). Parmi ces étiquettes se trouvent deux intrus (en général des valeurs mesurées sur le même secteur).

Ce moment de réflexion permet à chaque agriculteur de retracer l’itinéraire technique de ses parcelles et d’argumenter ses choix. Avec l’animatrice, il retourne ensuite les étiquettes pour vérifier ses réponses. Au verso, une estimation des pertes d’azote est indiquée, apportant encore un élément de dialogue.

Cette animation a suscité plus d’engagement, d’échanges et de questionnements que les « formats » précédents.

 

Figure 9. Exercice de positionnement par l’agriculteur de résultats des REH sur ses parcelles.

Il faudrait éprouver davantage cette méthodologie mais les quelques agriculteurs s’étant prêtés au jeu s’y sont pliés volontiers, amenant des questionnements intéressants. Parfois, les échanges se sont faits par téléphone : là-aussi, plutôt que d’indiquer directement les résultats, l’animatrice demande « à votre avis, quelle quantité d’azote aviez-vous dans telle ou telle parcelle en entrée d’hiver ? ». Cela suscite davantage de réflexions et questions.

Conclusion

Les mesures de REH réalisées dans des parcelles cultivées des BAC permettent d’évaluer la pression azotée et d’estimer les marges de manœuvre de gestion de l’azote au regard des pratiques des agriculteurs. La comparaison des résultats et leur interprétation dans l’espace et dans le temps reste difficile sur ce territoire étant donné la variabilité (parfois importante) des taux de cailloux et les profondeurs de sols qui varient de 20 à 90 cm. Sur ce sujet, la question de l’usage des REH sur les sols superficiels reste posée.

Si les résultats peuvent interpeller les agriculteurs, il est toutefois difficile de répondre à la question des leviers actionnables pour limiter cette quantité d’azote dans les sols à l’entrée de l’hiver. Les agriculteurs se disent tributaires du climat (notamment pour la réussite de leurs couverts) et n’envisagent pas de changement de pratiques pour tenter de limiter cette quantité dans leurs sols. Ils accordent davantage d’importance aux RSH ; il n’est d’ailleurs pas rare qu’un agriculteur soit satisfait lorsque la valeur de son REH est élevée (gage pour lui d’un bon stock d’azote dans son sol, confusion avec le RSH…). L’objectif de 50 kg Nmin.ha-1 n’est pas un but recherché par les agriculteurs, bien que rappelé régulièrement en comités de pilotage ou dans les documents de synthèse.

Aussi, le REH, indicateur de pression, soulève encore beaucoup de questions sur son utilisation pour mobiliser autour d’un projet de reconquête de la qualité de l’eau. Comment dépasser le sentiment d’impuissance sur les résultats obtenus ? Comment l’analyse des données permet d’identifier les « succès » et leurs causes ? Faut-il se concentrer uniquement sur les pratiques et/ou successions « à risque » (et comment les identifier ?) ? Aujourd’hui se pose la question de la meilleure façon d’aborder la gestion de l’azote pour limiter les pertes azotées sous les parcelles des BAC. Le REH reste un outil intéressant pour travailler sur des résultats concrets et mesurables chaque année.

Bibliographie

Burns I.G., 1976. Equations to predict the leaching of nitrate uniformly incorporated to a known depth or uniformly distributed throughout a soil profile. Journal of Agricultural Science, 86, 305-313.


  1. https://methode-merci.fr/
  2. Groupe Régional d’Expertise Nitrates

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Retours d’expérience autour du REH/RDD/APL Droit d'auteur © par Lison Delsalle est sous licence Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, sauf indication contraire.

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