L’exemple breton d’un réseau de mesure de REH utilisé comme outil et indicateur pour diminuer les fuites de nitrate

Daniel Hanocq et Anne Guézengar

Résumé

Pour lutter contre la prolifération des algues vertes dans certaines baies bretonnes, et en partant du principe que la réduction des flux d’azote minéral rejoignant ces baies pouvait être un facteur de maîtrise du phénomène, un programme de prévention agricole a été mis en place comportant notamment des campagnes de mesures de reliquats d’azote en entrée d’hiver (REH).

Une méthode d’interprétation des résultats a été mise au point pour cibler au mieux les mauvaises pratiques de gestion de l’azote. Un réseau de parcelles de référence permet chaque année de situer le niveau attendu de reliquat selon la situation agronomique et de fixer une marge de tolérance. Une note est alors attribuée à chaque parcelle analysée.

Depuis 2016, en agrégeant les notes par exploitation sur quatre campagnes d’analyses, il est possible de déterminer quelles sont les exploitations qui doivent rester dans le dispositif et bénéficier d’un conseil et celles qui peuvent en sortir.

Une évolution clairement favorable en a découlé sur les indicateurs ayant trait à l’azote mais elle est jugée insuffisante au regard des échouages d’ulves encore observés.

Contexte

Huit baies du littoral breton sont propices aux proliférations d’algues vertes du fait de leur configuration et des flux de nutriments qui les alimentent. La problématique des marées vertes, qui avait connu un pic considérable au début des années 1990, était en diminution depuis, de même que les quantités de nitrate transférées dans le milieu aquatique. Alors même que les indicateurs « nitrate » régionaux étaient à leur niveau le plus bas depuis la fin des années 1980, une soudaine recrudescence est apparue en 2007, 2008 et 2009 (figure 1 – sources : CEVA[1], AELB[2], DDASS[3], DREAL[4]).

 

Figure. 1. Évolution conjointe de divers indicateurs régionaux de pollution nitrique et de prolifération algale entre 1987 et 2009.

Après la mort d’un cheval sur une plage couverte d’algues vertes (2009) et la tempête médiatique qui s’en est suivie, un grand plan de lutte gouvernemental contre les algues vertes a alors été mis en place sous l’égide de la Direction Régionale de l’Agriculture avec un budget de 134 M€ sur 5 ans. Parmi cinq grands axes d’actions, figure celui de la « prévention agricole ».

L’IFREMER[5] et le CEVA ont mis en avant la possibilité de limiter la croissance algale en limitant les flux d’azote minéral alimentant les baies concernées (Menesguen & Piriou, 1995). Une relation assez étroite semble en effet apparaître entre ces flux d’azote de mai à août et les surfaces couvertes par les marées vertes en été (figure 2).

 

Figure 2. Rôle possible de facteur limitant des flux de nitrate (somme des huit baies) sur la prolifération algale (somme régionale) (Source : CEVA).

Dès lors, dans le cadre de ce plan de lutte contre les algues vertes (PLAV), une grande opération de mesures de reliquats d’azote dans le sol en fin de culture a été décidée de façon à sensibiliser les agriculteurs sur les améliorations nécessaires dans leurs pratiques de gestion de l’azote et cibler de manière pédagogique ceux qui devaient le plus progresser. Après discussions, le comité technique a choisi de pratiquer des reliquats « début drainage » (RDD) ou « entrée hiver » (REH), indicateur le plus fiable et le moins soumis aux difficultés de prélèvement tout en renseignant à la fois sur les pratiques de fertilisation azotée, de gestion de l’interculture et le risque potentiel de fuites d’azote vers l’eau.

Ces campagnes d’analyses de reliquats ont perduré de 2010 à 2021 mais selon deux phases distinctes :

  • de 2010 à 2015, les prélèvements ont été faits de façon exhaustive : en moyenne trois mesures par exploitation cultivant sur les bassins versants « algues vertes » (BVAV) (6800 REH pour 2300 exploitations, soit environ un REH pour 27 ha sur les 1900 km² des bassins versants concernés),
  • à partir de 2016, sur la base des résultats obtenus au cours du suivi 2010-2015, un ciblage a été réalisé sur les 20 % des exploitations devant progresser le plus, sur la base du nombre de mauvais résultats et de l’évolution constatée sur les six campagnes (figure 3) (1400 REH pour 480 exploitations).

 

Figure 3. Mode de sélection des exploitations suivies après 2015 et devant progresser le plus.

D’une manière générale, les REH ont été mesurés à part égale sur ou après trois types de cultures : céréale, prairie et maïs (Zea mays) représentant respectivement 26 %, 39 % et 27 % de la surface agricole bretonne en 2015.

Choix du type de reliquat : le REH

Une mesure du stock d’azote minéral (nitrique) dans le sol est une photographie d’un paramètre très variable dans le temps, tant en quantité (figure 4) qu’en répartition dans le profil.

Le choix de la période de prélèvement est donc primordial quant à l’interprétation qu’on peut en faire.

L’option d’un reliquat « post absorption » (RPA sur la figure 4) a d’emblée été avancée. Un RPA est en théorie plus proche du solde du bilan de l’azote sur la culture et semble permettre un diagnostic plus fiable de la qualité des pratiques de fertilisation.

Cependant, le RPA présente bien des inconvénients dont les principaux sont des conditions de prélèvement difficiles dans des sols souvent très secs et avec une culture encore en place dans le cas du maïs, ce qui peut souvent induire une forte imprécision de la mesure comme décrit plus loin. En outre il n’a pas de signification pour les prairies, notamment en climat très océanique comme celui de la Bretagne.

 

Figure 4. Exemple d’évolution des stocks d’azote minéral dans le sol sur la durée d’une interculture (après moisson d’escourgeon) selon l’occupation du sol et phénomènes majoritaires possibles en cause. (INRA Reims 2000-2002).

Les arguments les plus décisifs qui ont fait opter pour le RDD (sur la figure 4), ou REH, sont :

  • la bonne gestion de l’azote sur une exploitation agricole et la maîtrise du risque environnemental qui y est associé ne se limite pas au seul ajustement de la fertilisation azotée ; la gestion de l’interculture est au moins aussi déterminante en la matière, et
  • une meilleure sensibilisation des acteurs suppose que l’indicateur mesuré soit au plus proche du risque de fuites d’azote et donc du début du drainage. C’est bien la notion « d’azote potentiellement lessivable » (APL) développée en Wallonie (Wouez, 2022) dans la même finalité. Un RPA élevé serait moins pédagogique dans la mesure où l’agriculteur pourrait se dire que le couvert végétal ou la décomposition de résidus à C/N élevé viendra corriger substantiellement celui-ci.

La difficulté majeure d’une mesure de reliquat d’azote nitrique dans le sol est son imprécision. Rien que sur le dosage en laboratoire, un écart de 15 % est toléré lors des contrôles inter laboratoires. Il faut encore y ajouter l’incertitude liée au prélèvement réalisé jusqu’à 90 cm (si possible) dans un milieu foncièrement hétérogène, tant horizontalement dans la parcelle que verticalement dans le profil. La qualité du prélèvement est donc essentielle et un prélèvement de qualité ne peut être réalisé que dans un sol suffisamment humide.

Les observations réalisées en 2011 (année où le drainage a été particulièrement tardif) dans le cadre du PLAV montrent (figure 5) que l’écart type peut varier du simple au double selon l’humidité du sol. En particulier la variabilité devient énorme lorsque l’humidité descend en dessous de 10 à 12 %, situation fréquemment rencontrée pour des RPA. La variabilité devient minimale lorsque l’humidité approche de la capacité au champ, cas très fréquent pour des REH.

 

Figure. 5. Variation des statistiques d’un échantillon mobile de 400 REH (horizon de surface) en fonction de l’humidité du sol lors du prélèvement (2760 REH mesurés en 2011 dans les bassins versants des baies « algues vertes » avant le début du drainage).

Une correction nécessaire de l’effet de la date de prélèvement pour une campagne s’étalant sur plusieurs semaines

L’exemple présenté à la figure 4 illustre l’effet majeur de la date de prélèvement au cours d’un automne-hiver sur le résultat de la mesure de reliquat. Or, des campagnes de mesures d’environ 7000 REH s’étendent nécessairement sur plusieurs semaines (quasiment deux mois en pratique) en sachant que les prélèvements ne sont pas réalisés par temps de forte pluie et plus rarement, par temps de gel.

Si on veut comparer les REH à un seuil quelconque, il est donc nécessaire de « ramener » les résultats à une date unique, évaluée chaque année comme étant celle la plus proche du début du drainage.

Des modèles agronomiques classiques sont appliqués sur la base du modèle de Burns (1976) pour la lixiviation, des jours normalisés pour la minéralisation et des sommes de températures pour la croissance des couverts et leur absorption d’azote. À chaque reliquat sont affectées des données météorologiques par triangulation à partir d’une vingtaine de stations. Sur un réseau de parcelles de référence, les prélèvements sont répétés trois ou quatre fois au cours de la campagne, ce qui permet de vérifier la cohérence des corrections appliquées.

La figure 6 illustre deux exemples de correction possible selon l’occupation du sol.

 

Figure 6. Exemple de modélisation de l’évolution des reliquats en fonction du temps selon les conditions météorologiques et l’humidité du sol pour deux parcelles de maïs suivi ou non d’un couvert végétal.

La figure 7 compare l’évolution des stocks d’azote nitrique mesurés sur les parcelles de référence et les valeurs théoriques. Celle-ci illustre également l’incertitude d’une mesure de reliquat.

Figure 7. Exemple de cohérence observée entre le modèle d’évolution des reliquats avec la date et les observations pratiquées sur les parcelles de référence (pour le secteur de la baie de St Brieuc, après une culture de maïs sans couvert végétal et pour un potentiel de minéralisation moyen).

Comme expliqué précédemment (§ Contexte), dans la seconde phase des campagnes de REH (à partir de 2016), les prélèvements ont été réalisés sur un nombre restreint d’exploitations ciblées (20 %) et il a été possible de les pratiquer en une seule semaine pour chacun des trois types de cultures, soit sur trois semaines au total, (moyennant le prélèvement de deux couches au lieu de trois). Dès lors, aucune correction de l’effet de la date de prélèvement n’a plus été faite.

Mode d’interprétation des résultats

Il existe de nombreux facteurs qui influent sur le stock d’azote minéral du sol mais tous ne sont pas liés aux pratiques de l’agriculteur en matière de gestion d’azote. On ne peut donc pas interpréter le résultat en valeur absolue sans le resituer dans les éléments de contexte qui vont le déterminer.

La figure 8 illustre en premier lieu les effets « culture » et « année » qui sont en interaction. En effet, si 2013 peut être considéré comme une année à forts REH pour les trois types de cultures suivies et que les prairies présentent des REH plus faibles globalement que les grandes cultures, les hiérarchies ne sont pas toujours les mêmes. Par exemple, 2012 est plutôt une année à forts REH pour les céréales et à faibles REH pour les maïs qui se retrouvent ainsi globalement plus faibles que les valeurs observées après céréale et quasiment au même niveau que les prairies.

Ces effets « année » sont liés à des séquences climatiques spécifiques tout au long du cycle de la culture et après sa récolte.  De plus, ces séquences climatiques n’ont pas les mêmes effets selon les situations agronomiques particulières (succession de cultures, capacité de rétention en eau du sol…) et présentent d’ailleurs des variations géographiques à l’échelle de la Bretagne pour une année donnée.

En outre, si les REH sous prairies sont plutôt plus faibles, l’intervalle entre le 9ème décile et la médiane est en moyenne du même ordre de grandeur pour tous les types de cultures (respectivement 66, 88 et 74 kg N-NO3¯.ha-1 pour les céréales, les maïs et les prairies).  Ce constat semble indiquer des marges de progrès potentielles du même ordre en termes de réduction de fuites d’azote.

 

Figure 8. Répartition des REH mesurés selon les cultures et les années (PLAV, 35000 mesures durant 6 ans)

D’autres facteurs d’ordre agronomique peuvent encore faire varier le REH indépendamment des pratiques de gestion de l’azote de l’agriculteur tels que le précédent cultural ou des caractéristiques de succession de cultures ou encore le mode d’exploitation des prairies.

De la même façon, les conditions de minéralisation de fin de cycle liées à l’humidité du sol en été notamment, peuvent impacter fortement le niveau de REH et même de RPA, comme observé en 2011 et 2012 sur 163 parcelles dont l’équilibre de fertilisation a été vérifié (figure 9).

 

Figure 9. Impact de l’humidité du sol ( %) en fin de cycle (mi-août) sur le niveau de RPA mesuré début septembre dans 163 parcelles de maïs des bassins versants « algues vertes » en 2011 et 2012.

Ainsi, de façon à pouvoir discerner le mieux possible la part des variations de REH découlant des pratiques de gestion de l’azote de celle liée à d’autres causes, nous établissons chaque année, pour chaque type de culture, une typologie de situations agronomiques avec les REH « attendus » correspondants. Ces REH « attendus » sont calculés à partir d’observations. Les différentes classes de la typologie sont établies chaque année en fonction des facteurs les plus influents non dépendants des pratiques de gestion de l’azote. La médiane des REH de chacune des classes est estimée sur la base de l’ensemble des REH mesurés. Une fois les écarts entre classes établis, les REH « attendus » sont fixés de telle sorte que la médiane globale corresponde à celle des parcelles de référence.

Par exemple, à l’entrée d’hiver 2021, le REH attendu après un maïs variait de 31 kg N-NO3¯.ha-1 sur deux horizons (pour un précédent maïs grain en 2020 dans une rotation de grandes cultures et avec un niveau de pluviométrie estivale faible) à 133 kg N-NO3¯.ha-1 (pour un précédent prairie pâturée dans une rotation avec prairies et un niveau de pluviométrie estivale fort).

Le REH de chaque parcelle est alors comparé au REH attendu correspondant à sa situation agronomique et selon l’écart observé, une note est attribuée : A, B, C ou D en 2010 et A/B, C ou D par la suite.

L’établissement des seuils à partir desquels l’écart est suffisamment élevé pour attribuer une note C ou D est assez délicat, compte tenu notamment de la marge d’erreur conséquente qui peut exister sur une mesure de REH. En effet, l’opération ayant un objectif essentiellement pédagogique, il faut minimiser le risque d’attribuer une mauvaise note à une parcelle sur laquelle les pratiques de gestion de l’azote étaient bonnes (« faux positif ») et a contrario d’attribuer une bonne note à une parcelle où la gestion de l’azote a été mauvaise (« faux négatif »).

Pour ce faire, il a été mis en place un réseau de parcelles dites « de référence » choisies dans des exploitations où les pratiques de gestion de l’azote sont correctes (plan de fumure et couverture des sols).

Les REH mesurés sur ces parcelles permettent :

  • de valider et d’ajuster les niveaux de REH attendus selon la typologie des situations agronomiques et
  • d’évaluer un niveau admissible d’écart au REH attendu au-delà duquel une mauvaise note est attribuée.

Par convention, au-delà du 8ème décile des écarts observés pour les parcelles de référence, il est attribué un C et au-delà du 9ème décile, un D.

Ainsi, par construction, 10 % des parcelles de référence ont un C et 10 % ont un D (figure 10). Les seuils définis de la sorte sont bien sûr variables selon les années mais d’une manière assez régulière, un C est attribué pour un écart au REH « attendu » (médiane des reliquats observés pour une situation agronomique donnée) dépassant 20-25 kg N-NO3¯.ha-1 et un D pour un écart dépassant 40-50 kg NO3¯.ha-1.

L’intérêt de la démarche est  :

  • de pouvoir soupçonner de mauvaises pratiques malgré un REH relativement bas lorsque la situation agronomique laisse prévoir un REH faible (risque de « faux négatif ») et
  • d’éviter d’attribuer une mauvaise note systématiquement lorsque la situation agronomique est propice à un REH assez élevé, en dehors de mauvaises pratiques de gestion de l’azote évidemment (risque de « faux positif »).
Figure 10. Exemple de proportions de notes attribuées aux REH des parcelles en maïs en 2016 pour les deux réseaux de parcelles.

Les différences modérées observées entre les deux réseaux pour ce qui concerne la proportion de mauvaises notes s’expliquent par le fait que la majorité des exploitations diagnostiquées ont des pratiques de gestion de l’azote correctes.

Calcul d’un indicateur de risque environnemental (IRE)

S’il est un indicateur partiel de l’azote potentiellement lixiviable, le REH ne permet pas une évaluation du risque environnemental identique dans toutes les situations agronomiques. Par exemple, un faible REH suivi d’un sol nu ou d’une céréale d’hiver peut correspondre à plus de fuites d’azote en hiver qu’un REH plus élevé sous une prairie ou un couvert qui pourra absorber de l’azote en quantité pendant la période de drainage.

En outre, il est apparu nécessaire de pouvoir sensibiliser les praticiens au-delà des seules pratiques de gestion de l’azote (caractérisées par la note A/B, C ou D), y compris dans leurs choix de système de cultures.

En utilisant l’outil SYST’N® (Parnaudeau et al., 2012), la quantité d’azote lixivié est calculée pour chaque parcelle (Parneaudeau et Guézangar, 2022) sur la base :

  • des REH mesurés,
  • des données météorologiques de l’année jusqu’au moment du calcul et
  • des normales climatiques ensuite pour aller jusqu’à la fin du drainage (début avril).

Pour qualifier cet indicateur, trois classes (bon, moyen, mauvais) sont proposées par rapport à deux seuils fixés de manière absolue : 40 et 80 kg N-NO3¯.ha-1.

L’IRE présente donc le gros avantage d’être le meilleur indicateur possible des flux d’azote perdus (qui sont directement mis en cause dans la problématique de prolifération algale).

Sa valeur en tant qu’indicateur de bonnes pratiques est assez discutable pour plusieurs raisons.

En premier lieu, il est très sensible aux conditions climatiques. En effet, l’effet année est encore plus considérable que pour le REH et au contraire du REH, comme l’IRE dépend des données climatiques de l’année il n’est pas possible de le « gommer » dans l’interprétation.

De plus, sur un secteur géographique aussi vaste que l’ensemble des bassins versants « algues vertes », l’effet du gradient climatique gêne beaucoup les comparaisons entre agriculteurs. Le facteur prépondérant (variation du simple au double) qui détermine la proportion de bons et de mauvais résultats est d’abord la longitude (figure 11).

Il est à noter d’ailleurs que la teneur en nitrate des eaux de drainage varierait en sens totalement inverse. En effet, au-delà de 100 mm de lame drainante, la concentration en nitrate diminue quand augmente la lame drainante. Parallèlement, le flux d’azote transféré vers le milieu aquatique augmente.

 

Figure 11. Illustration de l’impact du facteur géographique sur la proportion moyenne de valeurs d’IRE faibles ou élevées par bassin versant « algues vertes ». 32000 IRE sur huit campagnes de mesures.

 

En outre, s’il était utilisé pour comparer entre eux l’ensemble des agriculteurs, l’IRE pourrait venir perturber l’intérêt pédagogique de la notation du REH puisque à l’ouest de la Bretagne moins de la moitié des parcelles bien notées (A/B) présentent un IRE faible (< 40) alors qu’à peine plus de la moitié des parcelles les plus à l’est présentent un IRE fort (> 80) lorsqu’elles sont mal notées (C ou D).

L’indicateur IRE est donc à interpréter de manière très locale et son intérêt pédagogique au regard des pratiques de gestion de l’azote réside essentiellement dans l’objectivation du capital perdu avec les fuites d’azote, ce qui peut amener un agriculteur à réfléchir, au-delà de ses pratiques de fertilisation, à son système de culture.

Cependant, compte tenu notamment du temps de calcul important requis, Le maître d’ouvrage (DRAAF) n’a plus souhaité calculer l’IRE au cours des dernières années du dispositif.

Résultats

Le résultat attendu de cette opération est difficile à évaluer puisqu’il consiste en des changements de pratiques chez les agriculteurs ayant les moins bons résultats.

Si on observe l’évolution interannuelle des REH mesurés, aucune tendance sensible ne se dessine, comme le montre la figure 8, compte tenu notamment de la forte variabilité interannuelle de cet indicateur. Cela est encore plus vrai pour l’IRE.

Le mode d’interprétation des résultats décrit plus haut qui consiste en l’analyse de l’écart entre le REH mesuré et la valeur « attendue » de celui-ci selon une typologie de situations agronomiques déterminée annuellement révèle toutefois une évolution très favorable (figure 12).

 

Figure 12. Écarts observés entre REH mesurés et REH attendus (42500 REH mesurés dans le PLAV).

Malgré l’année 2013 assez atypique, on constate, avec et sans ciblage des exploitations, une tendance nette à la baisse des moyennes des écarts et a fortiori des percentiles élevés de ces écarts au fil des années.

On constate en outre, que l’interprétation des REH selon cette méthode a permis à partir de 2016 de cibler efficacement les exploitations qui avaient le plus besoin de progresser.

L’évolution des teneurs en nitrate dans les cours d’eau des BVAV est également soumise à des aléas climatiques et des effets « année » notamment liés aux hauteurs de nappes et aux flux d’eau annuels. Nous avons cependant tenté (figure 13) d’observer une tendance par comparaison à l’évolution de la moyenne du réseau de contrôle et de surveillance (RCS[6]). La question est : le PLAV appliqué sur ces territoires spécifiques conduit-il à une différenciation de l’évolution des teneurs en nitrate de leur cours d’eau par rapport au reste de la Bretagne ?

 

Figure 13. Écarts entre la moyenne des cours d’eau des BVAV où ont été conduites les campagnes de REH et celle de l’ensemble du RCS pour le quantile 90 des teneurs en nitrate qui est l’indicateur usuellement retenu pour évaluer la pollution des cours d’eau par le nitrate.

La moyenne des teneurs en nitrate des cours d’eau des BVAV (entre 6 et 8 mg.L-1 au-dessus du RCS, évoluant de manière irrégulière plutôt positivement entre 2000 et 2009) a subit une évolution accélérée à partir de 2009 en se rapprochant de la moyenne RCS (au rythme de 2 mg.L-1 tous les trois ans) pour passer nettement en dessous à partir de 2018.

L’évolution au niveau de la croissance algale n’a hélas pas suivi partout puisque leur prolifération reste problématique en plusieurs endroits dont la baie de St Brieuc. En effet, la corrélation positive assez étroite mise en évidence jusqu’en 2009 ne s’est plus vraiment vérifiée par la suite pour des flux d’azote variant pourtant du simple au double selon les années (figure 14).

 

Figure 14. Corrélation observée entre flux de nitrate (somme des huit baies) et la prolifération algale (somme régionale) de 2002 à 2009 et absence de corrélation à partir de 2010. (Source : CEVA, DREAL).

Sans remettre réellement en cause la tendance globale entre flux d’azote printemps / été et prolifération des ulves, ces résultats illustrent bien la multi causalité des marées vertes et suggèrent que le seul levier de la limitation des flux d’azote est probablement insuffisant pour régler le problème.

Bibliographie

Burns I.G., 1976. Equations to predict the leaching of nitrate uniformly incorporated to a known depth or uniformly distributed throughout a soil profile. Journal of Agricultural Science, 86, 305-313.

Menesguen A. et Piriou J.Y., 1995. Nitrogen loadings and macroalgal (Ulva sp.) mass accumulation in Brittany (France). Ophelia, 42, 227-237

Parnaudeau V., Reau R., Dubrulle P., 2012. SYST’N : un outil pour développer le diagnostic et l’évaluation des pertes d’azote dans les systèmes de cultures : le logiciel Syst’N. Innovations Agronomiques, 21, 59-70. http://www6.inra.fr/ciag/Revue/Volume-21-Septembre-2012

Parnaudeau V., Guézengar A., 2022.  De la mesure du reliquat à l’estimation de la lixiviation du nitrate sous les parcelles agricoles dans les baies « algues vertes » de Bretagne. In : Vandenberghe C. & Delesalle M., eds.  Retours d’expérience autour du REH / RDD / APL. Gembloux, Belgique : Presses agronomiques de Gembloux.

Wouez D., 2022.  L’APL wallon, un outil de contrôle et d’encadrement. In : Vandenberghe C. & Delesalle M., eds.  Retours d’expérience autour du REH / RDD / APL. Gembloux, Belgique : Presses agronomiques de Gembloux.


  1. CEVA : Centre d’étude et de valorisation des algues
  2. AELB : Agence de l’eau Loire – Bretagne
  3. DDASS : Direction départementale des affaires sanitaires et sociales
  4. DREAL : Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement
  5. IFREMER : Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer
  6. Le réseau de contrôle et de surveillance de l’agence de bassin Loire-Bretagne (RCS) consiste en 865 stations où est prélevée de l’eau (de surface ou souterraine) plusieurs fois par an pour l’analyse d’un grand nombre de paramètres. Une centaine de stations correspond à des cours d’eau bretons pour lesquels nous nous intéressons ici au paramètre « nitrate ».

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Retours d’expérience autour du REH/RDD/APL Droit d'auteur © par Daniel Hanocq et Anne Guézengar est sous licence Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, sauf indication contraire.

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