Définition d’un objectif de RDD sur une aire d’alimentation de captage d’eau potable à l’aide de Co-click’eau : illustration sur le bassin de l’Arnoult

Rémy Ballot; Maïder Barreix; Claire Bernardin; et Sophie Goineau

Résumé

Le bassin versant de l’Arnoult est localisé au centre de la Charente-Maritime, dans l’Ouest de la France. Il comprend trois captages d’eau potable prioritaires Grenelle exploitant une eau souterraine, dégradée par le nitrate d’origine agricole.

En 2015, lors du renouvellement du plan d’actions volontaires Re-Sources visant à restaurer la qualité de l’eau, des scénarios ont été élaborés pour évaluer les impacts de changements de pratiques agricoles sur l’azote contenu dans les sols au début drainage (RDD). Ces scénarios ont été simulés grâce à la démarche Co-click’eau, discutés par le syndicat d’eau et les acteurs agricoles. L’un de ces scénarios a été mis en application à l’échelle du bassin versant (20 000 ha de SAU) dans l’objectif de restaurer la qualité de l’eau utilisée pour l’eau potable.

Les changements de pratiques subséquents ont été suivis en valorisant des registres parcellaires graphiques, des images satellite et en mettant en place un observatoire de pratiques et de RDD sur 200 parcelles.

À l’issue du plan d’actions quinquennal, la plupart des objectifs ont été atteints. L’évolution interannuelle des RDD constatée sur cinq campagnes et son impact sur la qualité de l’eau brute des captages restent à confirmer. Le plan d’actions a été renouvelé en 2022 pour une nouvelle période de cinq ans.

Introduction

Le nitrate constitue l’un des principaux contaminants des eaux souterraines. À l’échelle de la France, en 2017, toutes masses d’eau confondues, la concentration moyenne en nitrate était de 18 mg.L-1, soit près du double d’une concentration naturelle dans les nappes (de l’ordre de 10 mg.L-1). Si, au niveau national, une tendance à la baisse semble amorcée, la concentration en nitrate dépasse encore le seuil réglementaire de 50 mg.L-1 sur 4 % de la superficie des masses d’eau souterraines et elle reste en hausse sur près d’un quart du territoire (Ministère de la Transition Écologique, 2019).

En Charente-Maritime, les eaux souterraines exploitées par trois captages d’eau potable du bassin versant de l’Arnoult montrent des concentrations en nitrate dépassant le seuil réglementaire de 50 mg.L-1. Un premier programme d’actions Re-Sources[1] a été déployé en 2010 pour restaurer la qualité de l’eau. Ce programme d’actions a été renouvelé en 2016, en mobilisant notamment la démarche Co-click’eau (Chantre et al., 2016). A partir de différents scénarios de territoire, un objectif de RDD a été défini comme indicateur mesurable de quantité d’azote potentiellement lixiviable. Des objectifs d’évolution des pratiques agricoles ont ensuite été recherchés pour tendre vers cet objectif de RDD. Cet article développe l’approche de scénarisation adoptée pour renouveler le plan d’actions du programme Re-Sources, ainsi que le bilan de sa mise en œuvre.

Le contexte du bassin de l’Arnoult

Ce bassin est un territoire céréalier de 400 exploitations agricoles et 20 000 ha de SAU en plein cœur de la Charente Maritime (figure 1).

 

Figure 1. Bassin versant de l’Arnoult (Charente-Maritime – Source : Eau17)

Ces exploitations agricoles sont majoritairement spécialisées en grandes cultures destinées à l’exportation, via le port céréalier de La Rochelle. Les sols du territoire sont très hétérogènes. Les plateaux calcaires (« doucins » et « groisailles ») sont majoritairement cultivés en maïs (Zea mays) irrigué, tournesol (Helianthus annuus) et céréales. Dans les fonds de vallée tourbeuses et inondables (les « mottes »), le maïs est désormais préféré aux cultures légumières de plein champ, activité historique en déclin du fait de la pénibilité du travail, du vieillissement de la population agricole et du manque de compétitivité face à la production étrangère. L’activité d’élevage, également en recul, se caractérise par de petits ateliers bovins allaitants qui permettent de valoriser les prairies de marais, situées au pourtour du bassin de l’Arnoult.

Ce bassin versant comprend trois captages d’eau potable en nappe libre : les captages de Trizay « Bouil de Chambon », de La Clisse « La Roche » et « Château d’eau ». Le captage du « Bouil de Chambon » (10 000 m3.j-1) alimente une partie du littoral, dont l’Île d’Oléron. La teneur en nitrate de l’eau brute évolue de 40 à 80 mg.L-1. Elle a connu une augmentation entre 2005 et 2015 pour ensuite se stabiliser au-dessus du seuil réglementaire de 50 mg.L-1. Le captage de « La Roche » (1 500 m3.j-1) dessert 8 communes. La teneur en nitrate évolue entre 20 et 40 mg.L-1, avec une augmentation des minimums constatée depuis 2018 (figure 2). Le captage « Château d’eau » est à l’arrêt, pour cause de dépassement régulier du seuil réglementaire de 50 mg.L-1. Ces trois captages sont classés prioritaires au titre du Grenelle de l’environnement.

 

Figure 2. Évolution de la concentration en nitrate pour les captages de la Roche et du Château d’eau (La Clisse) et du Bouil de Chambon (Trizay) (Source : Eau17).

PHASE 1 : la démarche Co-click’eau pour définir les objectifs du programme

Co-click’eau

Co-click’eau est une démarche participative conçue et mise à disposition par INRAE pour appuyer les réflexions autour de l’agriculture à l’échelle de territoires. Elle repose sur la co-conception et l’évaluation multicritère de scénarios de territoire.

La mise en œuvre de la démarche passe par deux étapes :

  1. description d’un ensemble de « situations culturales », qui vont constituer des briques élémentaires mobilisables pour
  2. explorer des scénarios, faisant varier la proportion de ces situations culturales à l’échelle du territoire (figure 3).

Une situation culturale correspond à un itinéraire technique type, pour une culture donnée, avec un contexte pédoclimatique et un mode de conduite (ces notions seront ultérieurement détaillées). Des indicateurs sont mobilisés pour caractériser chaque situation culturale (impacts sur la ressource en eau, aspects technico-économiques…), de manière à traduire les préoccupations de l’ensemble des acteurs concernés.

Pour chaque scénario exploré, l’évolution de ces indicateurs est simulée, en moyennant leurs valeurs à l’échelle du territoire et en tenant compte de la surface attribuée à chaque situation culturale. La réalisation de ces deux étapes passe par plusieurs ateliers visant à impliquer les acteurs concernés. Les scénarios simulés constituent des représentations simplifiées du territoire, qui n’explicitent pas les changements de situations culturales à l’échelle des parcelles.

Ces simulations n’intègrent pas de modélisation hydrogéologique des flux de polluants : les indicateurs d’impact sur la ressource en eau se limitent à des indicateurs de pression ou de potentiel d’émission à la sortie du champ.

 

Figure 3. Étapes de mise en œuvre de la démarche Co-click’eau

Depuis sa conception en 2010, Co-click’eau a été mise en œuvre sur une vingtaine de territoires et en particulier des Aires d’Alimentation de Captage (AAC), en appui à l’élaboration de plans d’actions visant à préserver la ressource en eau.

Ces territoires présentent une diversité importante en termes de tailles (d’une centaine à plusieurs dizaines de milliers d’hectares), d’orientations agricoles (grande culture, polyculture-élevage, viticulture…) et d’enjeux (phytosanitaire ou nitrate). Cette diversité de territoires s’est traduite par des mises en œuvre variées de la démarche (nombre d’ateliers, acteurs impliqués, indicateurs considérés…).

L’enjeu « nitrate » a initialement été abordé par des indicateurs simples de pression (dose d’azote apportée) ou d’équilibre (bilan azoté). Sur le bassin de l’Arnoult, cet enjeu a été abordé à travers un potentiel d’émission « à la sortie du champ », par l’estimation d’un RDD.

La démarche de scénarisation adoptée sur l’Arnoult

La mise en œuvre de Co-click’eau sur le bassin de l’Arnoult s’est déroulée entre l’été 2014 et le printemps 2015. Elle a précédé une concertation animée par l’Institut de Formation et Recherche en Éducation à l’Environnement (Ifrée) en vue du renouvellement du plan d’actions.

Après validation de la démarche par le comité de pilotage du territoire (partenaires techniques et financiers) et un travail préparatoire réalisé par Eau17 avec l’appui d’INRAE, la démarche a fait l’objet de cinq ateliers et de plusieurs rendez-vous individuels (figure 4).

 

Figure 4. Déroulement de la démarche Co-click’eau sur le bassin de l’Arnoult.

Du fait de la grande taille du territoire et du nombre d’agriculteurs concernés, ceux-ci n’ont pas été impliqués directement dans les ateliers. Ces ateliers ont mobilisé un collectif d’une dizaine de personnes, essentiellement conseillers et techniciens issus de plusieurs structures (Chambre d’agriculture 17, Chambre régionale d’agriculture, GAB 17, Coopérative St Agnant, Coopérative Océalia, Coopérative de Beurlay, CORAB, Soufflet Agriculture, NACA, ETS Isidore, FD-CETA, ACPEL). Les sorties de ces cinq ateliers ont ensuite été partagées en comité de pilotage.

Sur la vingtaine d’indicateurs considérée, quatre indicateurs principaux seront développés dans cet article. Comme mentionné plus haut, le RDD permet d’aborder le potentiel de lixiviation de nitrate. Si le bassin de l’Arnoult est également concerné par la présence de résidus phytosanitaires aux captages, cet enjeu a été considéré comme secondaire lors de la conception du programme 2016-2020 : il a été abordé à travers l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT), pour vérifier que les scénarios explorés ne conduisaient pas à une augmentation de la pression phytosanitaire. La marge semi-directe a été considérée pour objectiver l’impact des scénarios sur la rentabilité pour les agriculteurs, de même qu’un impact sur le temps de travail a été quantifié comme suit.

 

Au total, près de 300 situations culturales ont été décrites. Ces situations culturales correspondent à une vingtaine de cultures, incluant les cultures dominantes présentes sur le territoire (maïs, blé, tournesol…), mais aussi des cultures de diversification qui pourraient se développer, en AB notamment (luzerne, soja, sorgho, méteil…).

Par ailleurs, le RDD étant fonction des restitutions d’azote du précédent et de l’absorption à l’automne par la culture suivante (dans le cas de cultures semées fin d’été – début d’automne), les situations culturales ont été décrites sous forme de triplets de cultures, de manière à différencier les itinéraires techniques et valeurs d’indicateurs en fonction du précédent et du suivant.

Ces itinéraires techniques et valeurs d’indicateurs ont également été différenciés en tenant compte de cinq zones, croisant trois types de sol (doucins, groisailles et mottes) et l’irrigabilité.

Ils ont aussi été différenciés selon plusieurs modes de conduite. Ces modes de conduite ont été distingués après l’analyse des diagnostics d’exploitations, qui mettait en lumière plusieurs constats constituant des pistes à explorer à travers les scénarios pour limiter les émissions de nitrate. Un premier constat était que, d’après les doses d’azote apportées, les pratiques de fertilisation semblaient raisonnées sur la base de rendements potentiels, plutôt que sur la base de rendements atteignables régulièrement. De plus, la mise en place de cultures intermédiaires pièges à nitrate (CIPAN) était anecdotique en 2014, et les sols étaient laissés nus en intercultures longues. Les modes de conduite croisaient donc raisonnement de la fertilisation et couverture hivernale des sols, en distinguant un niveau « CIPAN réglementaires » et un niveau « CIPAN optimisées ». Le premier niveau correspondait à une CIPAN implantée à bas coût (moutarde semée à la volée) pour satisfaire l’obligation réglementaire, avec une réussite aléatoire et donc un potentiel de piégeage de nitrate limité. Le second niveau correspond à une CIPAN dont l’implantation a été soignée (mélange d’espèces implanté au semoir), et maintenu en place pendant l’hiver de manière à maximiser le piégeage de nitrate.

Un mode de conduite intégrant la reconception des systèmes de culture par l’introduction de cultures de diversification a également été décrit, de même qu’un mode de conduite correspondant au cahier des charges de l’agriculture biologique (absente du territoire en 2014).

En résumé, six modes de conduite ont été différenciés :

  1. « Actuel »
  2. « Fertilisation équilibrée »
  3. « CIPAN réglementaire »
  4. « CIPAN optimisée »
  5. « Modification d’assolement »
  6. « Agriculture biologique ».

Le tableau 1 présente, à titre d’exemple, quelques situations culturales intégrant du blé tendre (Triticum aestivum) décrites pour le territoire.

Tableau 1. Valeurs des indicateurs RDD, IFT, marge et temps de travail pour sept exemples de situations culturales décrites pour le bassin de l’Arnoult (zone Doucins non irrigable).

Les scénarios explorés

Les situations culturales décrites, à l’échelle de la parcelle, ont permis d’explorer de nombreux scénarios à l’échelle du territoire au cours des deux ateliers dédiés à cette étape.

Lors du premier atelier, des scénarios « repères » simulant la mise en œuvre de chaque mode de conduite sur l’ensemble des surfaces concernées du territoire ont été discutés. Par exemple : que se passerait-il si des CIPAN « réglementaires » étaient mises en place lors de chaque interculture longue ? Des propositions ont émergé, ont été simulées entre les deux ateliers et mises en discussion lors du second. Les résultats de ces simulations sont présentés dans la figure 5.

Les participants ont proposé de simuler les conséquences de tendances déjà observées sur le territoire : déclin de l’élevage et restrictions sur les prélèvements d’eau pour l’irrigation. La première tendance a été simulée par une substitution des surfaces en prairies temporaires par des cultures annuelles et la diminution du maïs ensilage, sans changement dans les itinéraires techniques. Cette simulation met en évidence une augmentation non souhaitable des indicateurs RDD et surtout IFT. La seconde tendance a été simulée par une substitution de 20 % des surfaces en maïs irrigué par du maïs sans irrigation ou des céréales à paille d’hiver. Cette tendance a mis en évidence une dégradation de la marge, liée à la contribution importante du maïs irrigué aux résultats économiques des exploitations du territoire.

L’animatrice a ensuite proposé deux stratégies de préservation de la ressource en eau. La première consiste en des changements modérés sur l’ensemble du territoire, c’est-à-dire le respect de l’obligation de couverture hivernale des sols et le raisonnement de la fertilisation azotée sur la base d’objectifs de rendements régulièrement atteignables. La seconde consiste en des changements plus importants limités aux périmètres de protection éloignée des captages, soit environ un tiers de la SAU du territoire. Ces deux stratégies convergent vers une réduction de RDD de l’ordre de 20 %.

Le scénario retenu par les participants et présenté en comité de pilotage combine ces deux stratégies. Au-delà de la réglementation en vigueur à respecter (CIPAN « réglementaires » et raisonnement de la fertilisation), il intègre sur les périmètres de protection la mise en place de CIPAN « optimisées », l’introduction de cultures de diversification (soja et sorgho notamment, en développement à l’échelle régionale au moment où les simulations ont été réalisées) et des conversions ou installations en AB à hauteur de 200 hectares. Ce scénario conduit à une réduction de RDD de 30 %, cohérente avec les objectifs de qualité d’eau recherchée, tout en maintenant les indicateurs IFT, marge et temps de travail stables.

 

Figure 5. Distribution de l’assolement du territoire par mode de conduite et évolution de quatre indicateurs par rapport à la situation initiale pour cinq scénarios simulés pour le bassin de l’Arnoult.

PHASE 2 : Mise en œuvre du plan d’actions

Le scénario retenu

Le scénario retenu a permis de produire le plan d’actions pour la période 2016-2020. Ce plan d’actions fixe tout d’abord des objectifs de qualité de l’eau en termes de concentration en nitrate :

  • abaisser les pics hivernaux à 50 mg.L-1 pour les trois captages et
  • abaisser les teneur moyennes à 40 mg.L-1 pour le Bouil de Chambon, à 25 mg.L-1 pour La Roche et 50 mg.L-1 pour le Château d’eau (pour permettre une remise en service de l’ouvrage).

Ces abaissements représentent une diminution de l’ordre de 30 % des concentrations en nitrate pour les trois captages, cohérente avec la diminution de RDD de 30 % simulée pour le scénario retenu. Un objectif de diminution de 30 % du RDD a donc été inscrit au plan d’actions. Le RDD est considéré comme indicateur intermédiaire, interface entre qualité de l’eau et pratiques agricoles.

Pour tendre vers cet objectif de RDD, les modifications des pratiques agricoles retenues sont les suivantes :

  • 20  % de la SAU en rotations longues (avec l’introduction de nouvelles cultures sur 1  % de la SAU),
  • 20 % de la SAU avec un couvert hivernal (dont 5  % de CIPAN « optimisées »),
  • 1 % de la SAU en AB et
  • 40 % de la SAU avec fertilisation « équilibrée ».

Le suivi de ces objectifs a mobilisé plusieurs outils :

  • dans le cadre du projet PollDiff Captages, l’outil RPG Explorer a permis de suivre l’évolution des rotations pratiquées à partir des déclarations de surfaces PAC ;
  • le niveau de couverture hivernale des sols a été suivi à partir d’images satellite, à l’aide d’une méthode mise au point pour ce projet et d’étalonnage à partir d’observations terrain ;
  • un observatoire a été mis en place sur 200 parcelles représentatives du territoire. Ces parcelles font l’objet d’analyse de RDD, RSH et biomasse et de relevés de pratiques de fertilisation.

Les moyens déployés en réponse aux objectifs fixés

Au regard des objectifs agricoles fixés, des actions phares ont été déployées sur le territoire pour accompagner les agriculteurs.

Pour le développement de l’agriculture biologique, la diffusion d’informations (groupes d’échange, journées techniques) et l’accompagnement technique des producteurs via des diagnostics et simulations technico-économiques ont été proposés.

Une démarche de concertation a été initiée en 2018 afin de dynamiser l’ensemble des acteurs du territoire sur la question du développement de nouvelles filières agricoles économiquement viables, contribuant à allonger les rotations du territoire et favorables à la préservation de la qualité de l’eau. Plusieurs filières sont en cours de déploiement (chanvre, soja, miscanthus).

L’action CIPAN Eau est une des actions majeures proposée afin de développer la couverture des sols lors de l’interculture via un accompagnement technique adapté pour ‘réussir’ son couvert et une aide financière pour l’acquisition des semences via les partenaires (coopératives et négoces). Des groupes ont été mis en place pour accompagner techniquement des agriculteurs sur le long terme au travers d’essais et de rencontres ’bout de champs’. Un concours sur les couverts végétaux a également été lancé en 2018 dans l’objectif de mettre en valeur les agriculteurs mettant en place des intercultures.

Des outils transversaux ont également été mobilisés : mesures agro-environnementales et climatiques et acquisition foncière dans les zones sensibles.

Depuis 2016, le réseau de 200 parcelles a permis de suivre les RDD et les pratiques de fertilisation (figure 6) sur 47 exploitations volontaires pendant 5 ans (1 400 ha, environ 7 % de la SAU du territoire). Cet échantillon est représentatif de la diversité des successions culturales et des types de sols du bassin.

Pour chaque campagne, des analyses à la parcelle sont réalisées (RDD, RSH, pesées biomasse) par un prestataire habilité. La zone de prélèvement est fixe d’une année sur l’autre et représentative de la parcelle. Le prélèvement s’effectue sur un ou deux horizons (30 cm ; 60 cm) selon la parcelle. Une rencontre annuelle individuelle entre l’animatrice du programme et les agriculteurs permet de restituer les analyses individuelles, d’en discuter et de recueillir les interventions effectuées sur la parcelle. Ces informations sont saisies sur un tableau de bord pour chaque parcelle et le bilan azoté est calculé par saison culturale. Des bilans annuels sont également rédigés par la Chambre d’agriculture et communiqués aux agriculteurs.

 

Figure 6. Planning des interventions réalisées sur l’observatoire (Source : Eau 17).

Constat sur l’évolution de pratiques agricoles

Avec 14 exploitations en Agriculture Biologique, dont quatre en grandes cultures, sur 428 hectares (soit 2,1 % de la SAU), l’objectif de 1 % de SAU en AB est dépassé. Les surfaces en AB sont principalement situées sur les zones sensibles des captages en lien avec les acquisitions foncières réalisées par Eau 17.

À l’échelle du bassin de l’Arnoult, l’objectif de diversification des rotations est atteint, avec plus de 20 % de la SAU en rotations diversifiées et l’introduction de nouvelles cultures, notamment de protéagineux (figure 7.1). Les surfaces en prairies temporaires et permanentes se sont globalement maintenues, même si une tendance à la « céréalisation » avait été pointée lors des ateliers.

 

Figure 7.1. Évolution de l’assolement entre le début et la fin du plan d’actions, à l’échelle du bassin de l’Arnoult (Source : Eau 17).

La monoculture diminue, en faveur des rotations diversifiées (quatre à cinq cultures) (figure 7.2.).

 

Figure 7.2. Évolution des rotations entre le début et la fin du plan d’actions, à l’échelle du bassin de l’Arnoult (Source : Eau 17).

Chaque année, environ un tiers de la SAU présente une couverture du sol favorable au piégeage efficace de l’azote (CIPAN, colza, prairie) et la qualité de cette couverture s’améliore (figure 8). La mise en place de CIPAN en interculture longue a progressé au cours du plan d’actions. Pour rappel, en 2014, la mise en place de CIPAN était anecdotique sur le territoire. L’objectif fixé n’a pas été atteint, avec un peu moins de 20 % de la SAU, mais la dynamique est cependant jugée positive, avec une qualité et une durée d’implantation des CIPAN qui s’améliorent et des agriculteurs qui mentionnent avoir observé d’autres intérêts à la mise en place de ces couverts (bénéfices sur la structure du sol notamment).

 

Figure 8. Évolution de la nature et de la qualité de couverture des sols en début de période de drainage entre 2017 et 2019, à l’échelle du bassin de l’Arnoult entre début octobre et début décembre (Source : Eau 17).

La pratique de gestion de l’interculture reste très dépendante de la situation climatique et économique de la période. Avec des conditions difficiles à l’implantation, le taux de couverture peut être faible (2018) et les couverts moyens à forts, trop proches de la grenaison peuvent être détruits précocement.

L’objectif de fertilisation équilibrée sur 40 % de la SAU est atteint sur l’observatoire (figure 9). Des marges de manœuvre existent (fractionnement, prise en compte des RDD et RSH, rendements objectifs, etc.), la part de surface en écart moyen à élevé (> 60 kg N.ha-1) représentant environ 50 % des parcelles sur-fertilisées et 10 % des parcelles suivies restant en sur-fertilisation trois années sur quatre. Cependant, elles sont à mettre en perspectives avec l’évolution climatique.

 

Figure 9. Équilibre de fertilisation à l’échelle du bassin de l’Arnoult (Source : Eau 17).

En 2017, la part importante de céréales à paille et maïs en sur-fertilisation s’explique par des RSH particulièrement élevés en sortie d’hiver 2016-2017, qui ont peu été pris en compte dans le plan prévisionnel de fumure.

En 2018, les rendements réalisés sur maïs et céréales à paille sont bien inférieurs aux objectifs de rendement fixés pour le plan prévisionnel de fumure et sont la raison principale des sur-fertilisations.

En 2019, la sur-fertilisation des céréales à paille diminue, grâce à des rendements exceptionnels.

Cet indicateur permet de mettre en évidence les situations à risque pour la campagne suivante vis-à-vis du phénomène de lixiviation de l’azote vers les nappes.

Évolution de l’indicateur intermédiaire : le RDD

A l’exception des mottes pour lesquelles la méthode d’analyse est considérée comme peu adaptée, l’objectif de réduction de 30 % du RDD à l’échelle du programme 2016-2020 semble atteint sur le réseau de 200 parcelles suivies, avec des valeurs moyennes de l’ordre de 66 kg Nmin.ha-1 en 2016, à 35 Nmin.ha-1 en 2020 (figure 10).

 

Figure 10. Évolution des reliquats entrée et sortie hiver, de la pluviométrie et de la température sur le bassin de l’Arnoult (Source : Eau 17).

Au cours de l’hiver 2016, les RDD sont élevés, l’hiver est peu pluvieux (en dessous des normales de précipitation). Les RSH restent élevés.

Au cours de l’hiver 2017, les RDD sont élevés et comparables à ceux observés l’année précédente. L’hiver est pluvieux : le nitrate jusque-là accumulé dans les sols est lixivié et les RSH qui suivent sont faibles. Cette lixiviation est constatée sur les analyses d’échantillons d’eau prélevés aux captages : un pic de nitrate important est enregistré en décembre 2017 (figure 2). Les RDD et RSH qui suivent l’hiver 2017 sont faibles.

Au cours de l’hiver 2019, le RSH est plus élevé que le RDD, malgré les précipitations exceptionnelles de l’automne 2019. Cela pourrait s’expliquer par les conditions météorologiques favorables à la minéralisation en hiver (humidité, températures douces). La minéralisation semble jouer un rôle important, à prendre en compte avec le dérèglement climatique.

Ce décrochement des résultats entre les campagnes 2016 et 2017 avec 2018, 2019 et 2020 observés sur les valeurs moyennes est aussi visible sur les RDD en fonction de la culture précédente (figure 11). Les RDD moyens par précédent cultural sur les campagnes 2018, 2019 et 2020 se distinguent très peu, du fait de la faible valeur des reliquats sur ces campagnes. En 2018 et 2020, il est cependant sensiblement plus élevé après légumineuses. Ce constat met en évidence l’importance de bien appréhender la gestion des intercultures ou le choix de la culture suivante après légumineuses, malgré l’absence d’apport d’azote sur ces cultures et alors qu’elles tendent à se développer dans l’assolement du bassin.

 

Figure 11. RDD moyen en fonction du précédent cultural et par campagne culturale (Source : Eau 17).

Les enseignements après cinq années de suivi

Un indicateur « interface » faisant consensus

Le travail de co-construction engagé pour Co-Click’eau a permis le partage d’expertises locales et la prise en compte des réalités de chacun, dans un contexte favorable au dialogue. Il a aussi permis d’obtenir des objectifs chiffrés, essentiels pour suivre les dynamiques tout au long du programme et valoriser les données recueillies. Ces indicateurs intéressent agriculteurs et techniciens.

L’observatoire, outil de sensibilisation et de mobilisation

Le suivi des RDD permet de capitaliser des connaissances sur le fonctionnement des sols et d’engager une réflexion avec les agriculteurs sur leurs pratiques culturales. A l’échelle des exploitations, l’observatoire a permis de :

  • engager des discussions sur la relation entre qualité de l’eau et pratiques agricoles (avec le bilan azoté et le RDD) ;
  • mettre en évidence des pratiques à risque (gestion de l’après légumineuse, fractionnement, implantation et type de couverts, longueur des rotations, etc.) ;
  • mieux gérer les premiers apports d’azote, grâce aux RSH.

L’observatoire est un bon outil pour établir le lien avec les agriculteurs, sensibiliser sur l’enjeu qualité de l’eau et mobiliser sur les actions proposées dans le cadre du programme. Le bilan du programme a permis de mettre en évidence une meilleure mobilisation des agriculteurs de l’observatoire.

Les résultats de RDD recueillis depuis 2016 servent d’indicateur de la pression azotée et font l’interface entre pratiques agricoles et qualité de l’eau. Ils permettent de dégager des tendances et de faire des liens avec la concentration en nitrate aux captages et notamment d’expliquer certains pics hivernaux liés à la pluviométrie.

Les conditions limitantes pour un bon usage du RDD

Les mesures de RDD sont à réaliser au moment où les sols arrivent à saturation. La diversité des sols rencontrés et la planification du chantier sont des facteurs limitants. Le taux de cailloux peut faire varier le reliquat de façon conséquente. Or, il est difficile à évaluer et peut être très variable au sein d’une même parcelle. Les prélèvements sont effectués sur un ou deux horizons (30 et 60 cm) selon le type de sol, mais pour certaines parcelles, il serait possible de descendre en dessous des 60 cm. Enfin, les résultats sont interprétés à partir de l’azote minéral total. Or, dans certains échantillons et selon les années, la concentration en ammonium peut être élevée.

Le RDD est un indicateur à utiliser avec précaution car les résultats ne sont pas toujours interprétables et la relation avec les pratiques agricoles et la qualité de l’eau n’est pas toujours évidente. Une multitude de paramètres influence le RDD : les pratiques de fertilisation, l’historique de la parcelle, la présence d’un couvert végétal (CIPAN, colza). La comparaison annuelle est pertinente car les prélèvements sont réalisés sur la même semaine. Pour une comparaison interannuelle, il y a, entre autres, l’effet de la date de prélèvement. Pour certaines saisons culturales, les prélèvements sont parfois réalisés trop tardivement, après le début de drainage. Néanmoins, l’observatoire de RDD doit être maintenu et optimisé pour continuer le suivi engagé et pour le rôle qu’il joue dans la mobilisation des agriculteurs du territoire.

Chaque année, les valeurs sont comparées par type de sol et précédent cultural. L’amplitude des résultats entre minimum et maximum est souvent large, ce qui rend délicate leur analyse. Au regard des résultats, l’interprétation est bien souvent limitée, mais l’acquisition de chroniques interannuelles permettra de consolider l’analyse des résultats.

Perspectives

Des marges de manœuvre existent pour améliorer les pratiques et doivent être mises en perspective avec l’évolution du climat qui se dessine : des évènements extrêmes de plus en plus fréquents, couplés à une hausse des températures. Ces évolutions sont aussi dépendantes de l’évolution du contexte économique des exploitations (coûts de production, prix d’achat, marché, etc.) et de la mutation agricole de ces prochaines années sur le territoire (agrandissement des exploitations, déclin de l’élevage, diminution du nombre d’exploitants, etc.) qui sont autant de facteurs défavorables à une gestion de l’azote bénéfique à la qualité de l’eau.

En 2019, les objectifs fixés en termes de qualité d’eau aux captages ne sont pas atteints, même si une tendance à la diminution de la concentration de nitrate semble s’amorcer sur le captage du « Bouil de Chambon ». Ceci peut s’expliquer par plusieurs éléments. À supposer que les émissions de nitrate à la sortie du champ sont effectivement réduites, le temps de réponse de la masse d’eau ne permet pas d’observer une diminution de la concentration au captage dans la durée du plan d’actions. Le suivi du RDD amorcé en 2016 sur 200 parcelles semble montrer une diminution de ces émissions de nitrate en conformité avec l’objectif fixé. Cependant, elle reste à confirmer dans la durée pour vérifier qu’une tendance se dégage au-delà des variations interannuelles liées au climat. Il semble toutefois délicat d’associer l’ensemble de ces évolutions aux seuls effets du programme.

En 2022, Eau 17 renouvelle son programme d’actions sur un territoire élargi et avec de nouveaux acteurs associés (collectivités, nouveaux partenaires agricoles). Il présentera le double enjeu nitrate et pesticides. Six leviers agronomiques ont été défini avec des objectifs surfaciques fixés à horizon 2026 (figure 12). Ces derniers prennent en compte des évolutions constatées et s’inscrivent dans la continuité du travail de scénarisation réalisé en 2015.

 

Figure 12. Leviers d’actions identifiés dans le programme d’actions du bassin de l’Arnoult pour la période 2022-2026 (Source : Eau 17).

Le RDD est un indicateur qui sera maintenu, tout comme l’observatoire de pratiques constitué en 2016. L’analyse et la valorisation des données seront toutefois à optimiser. Il serait notamment intéressant d’intégrer la notion de rotation dans l’interprétation des résultats, d’affiner les situations à risques et de prévoir des temps collectifs agriculteurs/techniciens afin de valider ensemble des interprétations.

Conclusion

Le travail de scénarisation mené sur le bassin de l’Arnoult a contribué à la définition d’objectifs inscrits dans le plan d’actions 2016-2020 de préservation de la qualité de l’eau. À l’issue de cette période de cinq années, une évaluation du plan d’actions a été réalisée. Elle met en avant une évolution notable des pratiques agricoles (AB, allongement des rotations, etc.). Les mesures de RDD réalisées sur cinq campagnes montrent une diminution, qui reste à confirmer dans le temps, mais ne se traduit pas encore par une amélioration franche de la qualité de l’eau aux captages. Une concertation a été menée en 2021 pour renouveler ce plan d’actions à compter de 2022.

Suite à la mise en œuvre de Co-click’eau sur le bassin de l’Arnoult, d’autres territoires ont initié la démarche en mobilisant le RDD comme indicateur de potentiel d’émissions de nitrate. D’autres indicateurs (bilan entrées/sorties d’azote, note qualitative de risque d’émission de nitrate…) ont été considérés pour aborder de manière simplifiée l’enjeu « nitrate » sans avoir à passer par la description de triplets de cultures. Une évolution du contexte est en effet perceptible sur les territoires mobilisant la démarche, avec une problématique « nitrate » qui semble moins préoccupante, alors que la problématique « phytosanitaires » devient de plus en plus prégnante.

Actuellement, l’adaptation de la démarche est travaillée pour d’autres thématiques qui impliquent de mettre en discussion l’évolution de l’agriculture à l’échelle territoriale : gestion quantitative de l’eau, énergie et climat ou encore alimentation territoriale.

Bibliographie

Chantre E., Guichard, L., Ballot, R., Jacquet, F., Jeuffroy, M.-H., Prigent, C., Barzman, M., 2016. Co-click’eau, a participatory method for land-use scenarios in water catchments. Land Use Policy, 59, 260–271. https://doi.org/10.1016/j.landusepol.2016.09.001

Ministère de la Transition Écologique, 2019. Les nitrates, le principal polluant des eaux souterraines. (https://www.notre-environnement.gouv.fr/rapport-sur-l-etat-de-l-environnement/themes-ree/risques-nuisances-pollutions/pollution-de-l-eau-douce/nitrates-orthophosphates/article/les-nitrates-le-principal-polluant-des-eaux-souterraines?lien-ressource=5193&ancreretour=lireplus consulté le 16/08/22).

Eau 17, 2020. Évaluation du programme d’Actions Territorial de l’Arnoult 2016-2020.


  1. Programme régional (Nouvelle-Aquitaine) volontaire et multi partenarial, visant à sensibiliser l’ensemble des acteurs du territoire à la préservation de la ressource en eau destinée à la production d’eau potable.

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Retours d’expérience autour du REH/RDD/APL Droit d'auteur © par Rémy Ballot; Maïder Barreix; Claire Bernardin; et Sophie Goineau est sous licence Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, sauf indication contraire.

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