4 Peut-on rester en bonne santé tout en étant coupé de toute relation sociale ?
Bien entendu ! Mais selon une équipe de chercheures dont les résultats sont parus en 20171, diversifier et étendre son réseau social permet de gagner en qualité de vie en bénéficiant d’un meilleur état de santé général. Maria-Felice Arezzo et Cristina Giudici se focalisent sur une seule question à multiples facettes : avoir un capital social étoffé a-t-il un effet positif sur la santé ?
De manière générale, leurs résultats concluent à un effet positif du capital social sur la santé subjective2 (autoévaluée) des individus. Autrement dit, plus le capital social est élevé, plus l’état de santé l’est également. C’est logique : les relations sociales permettent une meilleure estime de soi, en donnant notamment un sentiment de sécurité ou en absorbant le stress du quotidien.
Capital social
Terme couramment utilisé en sciences humaines et sociales, le « capital social » correspond ici au nombre de personnes présentes dans le réseau social d’un individu mais également à un ensemble de caractéristiques3 liées au tissu social que cet individu a développé autour de lui.
En confirmant cette relation positive entre l’état de santé et le capital social, les auteures différencient deux composantes de ce dernier : la première fait référence à l’« extension » du réseau social, faisant le pont entre le réseau social initial et une nouvelle communauté, la deuxième faisant référence à un « rapprochement » des membres du réseau social initial. Le capital social « extension » permet donc de diversifier ses relations, tandis que le capital social « rapprochement » met plutôt l’accent sur l’intensification des échanges au sein d’un réseau dont les membres partagent les mêmes caractéristiques.
Bien qu’en moyenne positive, l’ampleur de ces composantes du capital social sur la santé est différente.
Selon les auteures, le « rapprochement » favorise les liens sociaux avec les personnes qui nous ressemblent et qui arborent le plus souvent les mêmes habitudes en termes de santé. Par exemple, un réseau constitué principalement de fumeurs ne va pas nécessairement encourager ses membres à ne plus fumer.
Étendre son « extension » permet éventuellement l’inverse : si vous êtes la seule personne à fumer dans votre nouveau groupe social, vous serez peut-être encouragé(e) à ne plus le faire. Il est donc relativement intuitif de déduire que c’est en diversifiant son réseau social que le potentiel d’amélioration du niveau de santé est le plus élevé.
Les auteures présentent ce résultat notamment au travers du GRAPHIQUE 12. Sur ce graphique, les pays sont disposés en fonction de deux éléments : à la verticale est représenté le risque, en moyenne pour chaque pays, de déclarer un état de santé médiocre ou faible. Si celui-ci est positif, c’est que la probabilité que les habitants de ce pays déclarent un mauvais état de santé est plus élevée, comparée à la moyenne générale. À l’horizontale est représenté le niveau du capital social « extension ». Si ce niveau est positif, c’est qu’en moyenne les habitants de ces pays ont davantage d’éléments de la composante « extension » du capital social, donc sortiraient plus souvent de leur réseau social initial par rapport aux autres pays.
De ce graphique nous pouvons distinguer deux groupes de pays qui partagent des caractéristiques similaires. En effet, les pays du sud et de l’est de l’Europe se situent plus à gauche (capital social « extension » plus faible) et vers le haut (risque plus élevé de déclarer un mauvais état de santé) tandis que les pays du nord et de l’ouest de l’Europe se situent plus à droite et vers le bas du graphique, présentant des caractéristiques inverses. Ce sont la Suisse, le Danemark et la Belgique qui cumulent un niveau de capital social « extension » élevé couplé avec un plus faible risque de déclarer un niveau de santé médiocre ou faible. À l’opposé se situent le Portugal, la Pologne et l’Estonie.
Si les conclusions de cette étude montrent un effet positif du capital social sur l’état de santé, au travers d’une meilleure estime de soi ou d’un changement de comportement qui favorise la santé, les auteures notent cependant qu’il faut en relativiser l’intensité. En effet, les données et les techniques utilisées ne permettent pas de distinguer les cas où, à l’inverse, l’état de santé, meilleur ou moins bon, aurait joué un rôle déterminant sur le capital social. Il est vraisemblable qu’aussi bien l’un comme l’autre peuvent s’influencer mutuellement, bien que de façon différente.
Graphique 12 : risque de déclarer un mauvais état de santé et niveau du capital social « extension »
Les chercheurs suggèrent néanmoins au monde politique de ne pas se focaliser uniquement sur des réformes du système de retraite ou des soins de santé pour rencontrer les défis du vieillissement démographique, mais plutôt de mettre en place des politiques diverses qui favorisent les interactions entre les individus, de manière à impacter, indirectement, leur santé.
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Ces statistiques sont tirées de la vague 6 de SHARE, dont les données ont été collectées en 2014-2015.
Refaire l’étude précédente n’est pas l’objet de cette section. Nous nous éloignons donc de ses indicateurs en présentant une autre définition du capital social, qui correspond à un capital social mélangeant des éléments « extension » et « rapprochement » dont nous avons discuté ci-dessus. Cet indicateur du capital social a été développé par Howard Litwin et Kimberly J. Stoeckel dans une étude parue en 20144 et se décline au travers d’une échelle allant de 0 à 4, où 0 correspond à un capital social inexistant et 4 à un capital social maximal. Cinq éléments composent cette échelle :
- le nombre de personnes déclarées par le répondant dans son réseau social ;
- la capacité du réseau social à venir en aide au répondant, par
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- la proximité géographique des membres du réseau social,
- et la fréquence des contacts avec les membres du réseau social ;
- la proximité « émotionnelle » des membres du réseau social ;
- la diversité des types de relations.
En moyenne, nous retrouvons sur le TABLEAU 8 presque le même classement que sur le GRAPHIQUE 12 : les pays du nord et de l’ouest de l’Europe ont un score moyen (sur un maximum de 4) de 2,1 et ceux du sud et de l’est de 1,8. L’écart n’est pas important, mais presque systématique.
Tableau 8 : niveau de capital social par pays (moyenne du score entre 0 et 4)
En plus des différences entre les pays, le capital social varie en fonction d’autres caractéristiques individuelles : une femme possède un niveau plus élevé de capital social qu’un homme (2,1 contre 1,9 de moyenne, pour l’ensemble des pays SHARE), et ce capital décroit avec l’âge : de 2,09 en moyenne chez les 50-59 ans, il descend à 2,02 à 60-69 ans, 1,98 à 70-79 ans, jusqu’à 1,81/4 pour les plus de 80 ans.
Le capital social moyen varie également en fonction du plus haut diplôme obtenu par l’individu, comme le montre le GRAPHIQUE 13.
Graphique 13 : capital social, par niveau d’éducation (moyenne share)
Les individus sur ce graphique sont répartis en trois niveaux d’éducation : primaire, secondaire et supérieur, correspondant au plus haut diplôme de fin de cycle obtenu. Ces individus sont répartis en cinq sous-groupes, correspondant au niveau de capital social qu’ils détiennent. Par exemple, les personnes dont le plus haut diplôme est le diplôme du primaire sont 16,6 % à avoir un score de 3 sur 4, contre 24,6 % pour celles ayant un diplôme du secondaire, et 30,7 % pour celles ayant un diplôme du supérieur. Avoir un diplôme de niveau supplémentaire est donc lié, en moyenne, à un niveau de capital social plus élevé.
Graphique 14 : personnes déclarant avoir un bon état de santé
En comparant cette fois sur le GRAPHIQUE 14 la proportion d’individus, par pays, qui se déclarent être en bonne santé5, la distinction n’est plus aussi nette entre les pays du sud/est et ceux du nord/ouest. La variabilité est en général assez forte parmi l’ensemble des pays, dont trois enregistrant une proportion de personnes en bonne santé plus faible que les autres : le Portugal, l’Estonie et la Pologne. Ces proportions sont déclinées par âge : le bleu foncé pour les plus de 70 ans qui, additionné au bleu clair, forment les 50-69 ans.
Finalement, le GRAPHIQUE 15 met en lien le niveau de capital social avec la proportion moyenne de personnes se déclarant être en bonne santé, en Belgique et pour les pays SHARE dans leur ensemble. La relation est positive : plus le niveau du capital social est élevé, plus nombreux seront les personnes se déclarant être en bonne santé. Tant les francophones que les néerlandophones de Belgique ont un pourcentage plus élevé de personnes se déclarant être en bonne santé que la moyenne de SHARE.
Graphique 15 : personnes déclarant avoir un bon état de santé, par niveau de capital social
Ce qu’il faut retenir
Les auteures font le lien entre l’état de santé subjectif (autoévalué) et le capital social individuel.
Elles concluent que le maintien d’un cercle social est bénéfique à la santé, particulièrement lorsque d’autres actions possibles pour rester en bonne santé sont plus difficiles à entreprendre lorsque l’âge avance, comme la pratique régulière d’un sport.
De plus, elles montrent dans leur étude que sortir de son cercle social initial, c’est-à-dire étendre son réseau social à des personnes ayant des habitudes différentes des siennes, a un impact potentiellement important sur la santé.
Parmi les pays SHARE, la Belgique occupe une position relativement confortable ou rassurante, en combinant des chiffres supérieurs à la moyenne tant pour la proportion de personnes se déclarant être en bonne santé que pour le niveau de capital social.
Les citoyens belges néerlandophones comme francophones, à un degré toutefois différent, semblent donc déjà capables, en moyenne, de tirer profit du tissu social.
L’apport de SHARE pour ce sujet
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Caractère international de l’étude : les auteures utilisent la vague 4 (2010-2011) de SHARE. Elles reprennent les personnes de 60 ans et plus dans seize pays participants pour un échantillon final de 40.229 individus.
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Elles combinent l’autoévaluation de l’état de santé des répondants avec l’ensemble des informations disponibles relatives au réseau social des individus, leur permettant de développer deux indices de capital social, l’un se résumant en un capital social « rapprochement », l’autre « extension ».
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Enfin, les auteures font la suggestion de favoriser les échanges entre individus au travers de politiques publiques à caractère social.
1 M.-F. Arezzo et Cr. Giudici, « Social Capital and Self Perceived Health Among European Older Adults », Social Indicators Research, 2017, 130:3, pp. 665-685.
2 La « santé subjective », en opposition à la santé « objective », évaluée par un professionnel de la santé, est l’état de santé évalué par l’individu lui-même.
3 Dans cette étude, le capital social se réfère à six éléments : à la taille du ménage, au nombre de membres de la famille présents dans le réseau social de l’individu, à la fréquence des contacts avec les membres de la famille, à la pratique du bénévolat, au fait de suivre des études ou des formations, et à l’affiliation à un groupement à caractère social ou associatif.
4 H. Litwin et K. J. Stoeckel « Engagement and social capital as elements of active ageing: An analysis of older Europeans », Sociologia e Politiche Sociali, 2014.
5 En bonne santé ou en très bonne, voire excellente santé.